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mais au coucher du soleil l’orient, frappé par ses derniers rayons, est comme une palette brillante où le rose tendre, le lilas, le bleu, se superposent, se fondent, se mélangent tour à tour, et changent d’aspect et d’éclat avec le jeu mobile de la lumière.

Ce désert est le second qui me laisse un grand souvenir ; le premier est celui du Sinaï. Quoique leur dissemblance soit grande, l’un et l’autre étant dignes, des scènes bibliques, ils restent étroitement liés dans ma mémoire. La Genèse et l’Exode sont comme l’âme de ces contrées ; à leur vue, l’on éprouve les mêmes impressions qu’à la lecture des deux premiers livres de la Bible. Dans les steppes de Syrie, je me figure sans peine quelques scènes de la vie d’Abraham ou de Jacob empreinte d’une poésie naïve et douce, car le pays, quoique désert, n’a rien qui effraie l’imagination. L’homme peut y vivre, témoin nos Arabes, sans les miracles quotidiens de l’Exode. D’espace en espace, les traces vertes annoncent un pâturage où le chameau et le cheval trouvent une plante savonneuse et une herbe dorée dont ils sont friands, et les plis du terrain cachent des puits ou des citernes naturelles… Mais Moïse n’aurait point choisi une semblable nature pour y tremper, par la privation et la souffrance, le corps et l’âme des Hébreux. Il leur fallait les marches dans les sables profonds de l’Arabie, au milieu de ces blocs de porphyre ou de granit, roches aux formes étranges et menaçantes, qui, précipitées des montagnes, entravent les chemins. Les miracles de Jéhovah en faveur de son peuple devaient être d’autant plus éclatans qu’ils avaient lieu dans une région d’où l’homme est repoussé par la faim et la soif. Rien de semblable, dans les plaines de Palmyre ; c’est la fertilité relativement à la désolation du Sinaï.

La nuit allait confondre dans une obscurité commune les couleurs de l’horizon et les grandes ombres des collines. Les costumes pittoresques des chefs arabes étincelaient encore sous les derniers rayons du soleil ; sur le sol se dessinait l’ombre gigantesque des dromadaires ; celles de leurs cavaliers flottaient selon le caprice des vêtemens. Mighuel donne le signal d’arrêt ; tous partent au trot jusqu’au lieu du campement, se jettent à terre, étendent leurs robes et les remplissent d’herbes sèches et de tiges d’arbustes : A l’aide de ce combustible, ils préparent leur repas, une sorte de pain sec et plat cuit sous la cendre. Je ne saurais dire où nous avons dressé nos tentes. Telle est la vie dans le désert ; le. voyageur oublie jusqu’au nom de la terre sur laquelle il a dormi, car là tout se ressemble, et rien n’arrête le souvenir.

L’incident de la matinée suivante fut une fausse alerte. Nos Bédouins tirèrent tout à coup de leurs housses les fusils et les tromblons ; deux cavaliers armés de leurs lances partirent au galop devant nous. Qu’était-ce donc ? Les Arabes répondirent : Les Shoumar ! Nous