Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/212

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prix. Nicolas, notre cuisinier, quand sa marmite fut établie au-dessus du feu, entre deux pierres, et qu’il eut réuni pour la soupe les débris d’un vieux coq, demanda de l’eau ; on le conduisit vers un puits envahi déjà par les dromadaires. Il recula d’horreur : le fond était garni d’une boue liquide, d’assez mauvaise odeur. Un enfant qui la puisait avec un sac de cuir lui en offrit ; — Moille, moille, mafish moille ! (de l’eau, de l’eau, ce n’est pas de l’eau !) — Il la repoussa et vint à nos jarres, autour desquelles la soif nous avait rassemblés. Nous comptions sur ces jarres pour conserver une boisson pure ; mais hélas ! nous comptions sans l’étourderie du drogman ! Il les avait bouchées avec un tampon d’herbes entouré de linges. La chaleur aidant, notre eau était devenue une tisane d’herbes d’un goût effroyable, et voici nos espérances évanouies ! Il nous restait encore les outres que portaient les dromadaires. Cette eau ne nous fit point défaut, sans être bien agréable, car plusieurs odeurs s’y mariaient. Les outres, faites de peaux de bouc, avaient été remplies jadis de lait de chamelle ; mais dans le désert on doit rire de ces petites infortunes : l’eau fut versée dans la marmite et nous désaltéra tant bien que mal.

Le camp qui nous environnait, en tous points semblable au précédent, était composé de tentes noires, en forme de carrés longs, peu élevées au-dessus du sol. En Syrie et en Arabie, les tentes ont toujours cet aspect ; aussi les aperçoit-on au loin sur le désert, comme autant de taches noires. Les femmes filaient la laine des chameaux. Parfois nos regards curieux les intimidaient, elles détournaient la tête avec confusion. Leurs yeux sont noirs, leurs traits accentués. Brunes, de formes élégantes et bien drapées dans leur robe, elles sont souvent belles, et le paraîtraient plus encore, si elles cultivaient un peu plus la propreté et n’imprégnaient pas leurs cheveux de graisse de mouton. Les hommes, couchés ou accroupis sur la terre, devant les tentes, fumaient une pipe de terre recourbée, courte et grosse, de couleur noire ou rouge. Chacun à son tour y appliquait les lèvres et aspirait. Leur politesse consiste, dès qu’ils ont allumé une pipe, à la passer successivement à tous leurs voisins. Le premier survenant la prend sans façon de la main du fumeur, aspire, et la lui rend.

Le sérieux de ces hommes, la dignité de leurs mouvemens, leur immobilité majestueuse, contrastent avec les gestes rapides, délibérés, l’agitation, la gaieté bruyante des Occidentaux ; mais, n’en déplaise aux admirateurs des Arabes, il ne faut pas se laisser prendre aux apparences. Ces airs de noblesse, ces regards profonds, cette majesté d’attitude, recouvrent un grand vide de l’âme ; leur immobilité est, le plus souvent de l’inertie, leur grave silence de la pauvreté d’esprit. Ils aiment à tuer le temps dans la contemplation,