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à Suf pour ce jour, et nous voici ! » Il répliqua par des complimens en style oriental, c’est-à-dire très pompeux : ses montagnes, ses vallées, sa tribu et lui-même sont glorifiés dans les siècles des siècles par la visite des magnanimes chefs des Francs ! Jamais jour plus beau n’a lui sur la contrée ! Phrases que le drogman, il me l’a dit plus tard, traduisit tout simplement ainsi : « Le cheikh est très honoré de vous avoir pour hôtes ! »

Abd-er-Rhazy se leva, et nous mena tous voir son cheval, qu’un petit Arabe tenait par un licou. C’est un étalon gris de fer, à l’œil ardent, à la crinière flottante, prompt à la course. Je lui offris un morceau de sucre ; mais l’animal, peu familier avec cette friandise, ouvrit ses naseaux, le flaira quelque temps, le prit dédaigneusement du bout des lèvres, enfin le laissa tomber, et se mit à brouter une fleur qui croissait à ses pieds. Si vous voulez flatter le Bédouin de Syrie, donnez des caresses et des éloges à son cheval. C’est son compagnon, son ami. La même remarque, au dire de nos militaires d’Algérie, ne peut s’appliquer toujours au Bédouin d’Afrique. Loin d’aimer son cheval, il le maltraite brutalement, et mérite peu les éloges que lui ont prodigués les auteurs de tant de romances sur l’Arabe et son coursier. En Syrie, c’est différent : là un étalon ou une jument de pur sang fait la gloire d’une tribu et n’a pas de prix. On venge par la guerre ses insultes et ses blessures, sa perte est un deuil et un déshonneur, et il n’est pas sous le ciel de race de chevaux plus adroite, plus sûre, plus vaillante contre la fatigue et la faim, et surtout douée d’une plus grande intelligence. J’ai vu une jument qui paissait en liberté dans le désert dresser l’oreille en entendant le claquement de langue de son maître, qui l’appelait, le chercher dans un groupe d’Arabes, le reconnaître, venir lui flairer la main et frotter sa tête contre sa poitrine.

Nous rentrons dans nos tentes, que les habitans de Suf avaient de nouveau envahies. Sur notre demande, Abd-er-Rhazy leur ordonna de vider la place, et ils obéirent immédiatement, car le chef, pour assurer l’exécution de ses ordres, fondit sur eux un bâton à la main ; mais la tente du docteur devint le théâtre d’une autre scène. Tandis qu’Abd-er-Rhazy s’amusait à chasser les importuns, il aperçut dans cette tente plusieurs hommes, presque nus, accroupis à terre : ces hommes étaient des malades qui demandaient quelque soulagement à leurs maux, et notre bon docteur préparait une potion pour l’un d’eux. Abd-er-Rhazy entre soudain, saisit le premier qu’ il rencontre, le jette dehors, et les autres s’enfuient. Cherchant quelque projectile à lancer au dernier fuyard, il prend le verre qui contenait la drogue, et le lui jette dans le dos, sous les yeux de notre compagnon stupéfait. À l’approche de la nuit, le terrible Abd-er-Rhazy s’en