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fussent appliquées sur son bât ; avant que le nœud coulant eût fixé la charge, elle se dérobait, renversait tout d’une ruade et partait au galop, jetant le trouble dans le camp. Heureusement la cantine, bardée de fer, souffrait peu de ces chocs. L’ordre rétabli, les bêtes de selle ou de somme défilaient dans les étroits sentiers. Le camp, assis comme par enchantement, avait disparu de même. Le lieu, couvert un instant plus tôt de tentes et d’une foule d’hommes et d’animaux, redevenait désert et silencieux ; on ne voyait plus sur la terre que les trous faits par quelques piquets, des herbes foulées et un peu de cendre. Le vent faisait bientôt disparaître ces traces légères et fugitives, comme les souvenirs que laissent les voyageurs.

Jusque-là, nous n’avions rencontré aucun obstacle ; le temps, le pays, tout souriait à notre expédition ; nous espérions atteindre sans encombre Suf et Djerash, le territoire d’Abd-er-Rhazy. Antonio nous assurait même que nous trouverions la terre de Dieu sans habitans ; mais il avait compté sans une défaite de la tribu des Anezé, battue par le pacha de Damas et refoulée vers le sud. Il fallait traverser un de leurs campemens. Comme nous marchions vite et arrivions à l’improviste, le passage fut facile ; mais nous tombâmes aussitôt après dans un nouveau camp, celui des Beni-Hassan, ennemis des premiers. La récente victoire du pacha de Damas avait sans doute fort intimidé tous ces Arabes, car, loin de nous inquiéter, ils nous laissèrent franchir si aisément le terrain occupé par leurs tentes et leurs troupeaux, que, confians dans la fortune, nous nous préparâmes à déjeuner dans leur voisinage. Ayant pris de l’avance sur les bagages, nous débridâmes et attachâmes nos chevaux.

Un instant après, nous entendîmes des cris ; mais, comme des pâtres arabes chantaient en gardant des chèvres, ces cris ne nous inquiétèrent pas. Tout à coup Elie, le second drogman, arrivant au galop, nous hèle : « Tous à cheval ! » Chacun détache sa monture et part. Je restai seul. Quand je voulais brider la mienne, elle se retournait, reculait, levait le nez, ayant l’air de me dire :


Sauvez-vous et me laissez paître.


Enfin, serrant ses naseaux, je la force à ouvrir la bouche, j’introduis le mors ; un instant après, j’étais en selle dans les rangs.

Voici ce qui était arrivé. Pharaon, un des domestiques syriens, descendu de cheval, était resté en arrière. Au moment où il veut remonter, un Arabe survient et prétend s’emparer de sa bête et de ses armes, qu’il lui arrache violemment ; bien plus, il se met à le débarrasser de sa ceinture, pièce la plus précieuse du vêtement oriental, à peu près comme font les douaniers qui déroulent l’embonpoint