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— Oui, mais où nous mettre à l’ombre ?

— De l’ombre ! dit Antonio, à midi, dans la vallée du Jourdain et loin du fleuve ! Je n’en vois pas, excepté sous les grains de sable ou les brins d’herbe !

Un soleil furieux dardait ses rayons dans la vallée. On dressa le pavillon d’une tente pour abriter le repas ; mais comme le soleil était placé perpendiculairement au-dessus de nos têtes, nous ne pûmes, tous les sept, trouver place dans l’espace étroit de l’ombre ; de plus, l’air était immobile et suffoquant. Quelques-uns d’entre nous, et je fus du nombre, allèrent chercher fortune sous les rochers. J’aurais voulu trouver un terrier où me tapir, j’enviais le grillon qui vit retiré dans son trou jusqu’au soir, lorsque j’entendis la voix de mes compagnons sortir du flanc de la montagne ; ils m’appelaient à partager leur jouissance, c’est-à-dire la fraîcheur d’une grotte qu’ils avaient découverte. Il faut remarquer le rôle que ces excavations, si communes en Judée, ont joué de tout temps dans son histoire : c’est dans une grotte que naquit l’enfant Jésus, c’est dans ces demeures souterraines que les prophètes allaient converser avec Dieu, que Jérémie se retirait pour pleurer sur Jérusalem ; c’est dans un asile semblable que le Christ répandit des larmes de sang, et que les apôtres se cachèrent pour composer leur symbole. Dans un pays rempli de roches et calciné par le soleil, où l’on songeait plutôt à ménager le bon terrain pour y faire pousser des récoltes qu’à planter des arbres improductifs, il était naturel qu’on s’abritât sous des rochers contre la chaleur du jour, et que peu à peu on en fît sa demeure. De nombreuses familles ont aujourd’hui de telles habitations. Siloé peut être à ce propos cité comme exemple. Ce village, bâti sur le penchant du mont du Scandale et séparé de Jérusalem seulement par l’étroite vallée de Josaphat, semble un hameau de cinq cents âmes ; l’on apprend avec étonnement que sa population s’élève à quinze cents, dont les deux tiers habitent dans des cavernes naturelles ou dans des tombeaux creusés par les anciens Juifs.

La grotte où notre bonne étoile nous avait conduits était le refuge de moutons et de chèvres. Un lit de fumier sec exhaussait la terre, nous ne pouvions nous tenir debout ; il fallut nous coucher tant bien que mal, fort serrés les uns contre les autres. Je tournai instinctivement les regards vers les parties du rocher les plus obscures, car la vue ne supportait qu’avec peine le torrent de lumière blanche et éblouissante dont les flots inondaient l’étroite ouverture de notre asile. L’atmosphère y scintillait comme à l’entrée d’une fournaise. Il fallut cependant partir au signal d’Antonio ; il déclarait que nous n’avions pas achevé encore la moitié de l’étape.