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du même coup aux autres gouvernemens maîtres de Posen et du royaume l’exemple de cette politique qui enflammait les haines des classes pour mieux régner. Cet acte sanglant, d’une habileté sinistre, déconcertait l’action polonaise en lui enlevant, au moins pour le moment, tout point d’appui dans les masses égarées. C’est là qu’aboutissait tout ce travail de conspiration démocratique de 1846 ; l’œuvre était à recommencer.

La révolution de février éclata et fut un autre de ces événemens cruellement décevans qui ont pesé sur la Pologne. C’était l’heure attendue des grandes explosions. Une révolution en France, comment y voir autre chose qu’un mouvement imprimé au monde, l’effort de tous les peuples pour s’affranchir du vieux droit, la transformation de l’Europe par la démocratie ? Qu’en résultait-il au contraire ? On le sait, cette révolution de la mauvaise heure ne venait en aide à aucun peuple, et elle ne le pouvait, car elle réduisait la France à concentrer ses forces pour se sauver elle-même de la dissolution. La cause polonaise avait le malheur de se lier à ces commotions européennes qu’où redoutait, de servir de drapeau à ces agitateurs du 15 mai 1848 qui menaçaient tout. Ce fut son crime ; elle devint importune, agaçante comme un mauvais souvenir ; elle perdit d’un coup sa popularité à la bataille, et chose plus curieuse encore, c’était l’empereur Nicolas qui devenait populaire, qui se trouvait soudain transformé en pontife de l’ordre et de la civilisation. Survint enfin la guerre d’Orient, qui réveillait les espérances des Polonais par la perspective des complications inévitables de l’Europe, par cette combinaison merveilleuse d’une alliance libérale de la France et de l’Angleterre contre la Russie. Si l’empereur Nicolas eût vécu, son obstination eût provoqué peut-être ces complications européennes où la Pologne pouvait retrouver un rôle ; sa mort était une facilité pour la paix. Le nom de la Pologne ne put pas être prononcé, et de même que la révolution de février était la déception des Polonais du parti démocratique, la guerre d’Orient laissait sans illusions les modérés, les politiques, les diplomates qui comptaient sur l’Europe.

C’est alors, à travers cette série de déceptions, que la Pologne se réfugie de plus en plus en elle-même et se replie dans une muette attente, après avoir vu tout lui manquer, conspirations, révolutions européennes, interventions régulières. La Pologne sentait qu’elle était devenue impopulaire, qu’elle ennuyait, selon le mot d’un Polonais, et elle évitait de faire parler d’elle. Elle ne pouvait sans doute se défendre d’une secrète amertume en voyant l’Europe libérale s’intéresser tout à coup à la nationalité italienne, à la nationalité hongroise, à la nationalité moldo-valaque, et oublier un peu qu’il y avait aussi une nationalité polonaise ; mais elle se taisait,