Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/170

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gouvernement russe uniquement en vue de la Russie. Ce que je voudrais montrer, c’est cette confusion d’intérêts où périt forcément l’autonomie polonaise, cette autonomie placée cependant sous la sanction de l’Europe. Et ne faut-il pas que cette politique ait dépassé toute limite pour qu’on ait pu récemment considérer comme une demi-réparation, presque comme une mesure libérale, l’autorisation d’enseigner en Pologne la langue polonaise une heure par semaine dans les écoles, — comme une langue étrangère, comme l’anglais ou le turc !

Je ne veux pas dire que la même politique ait été suivie dans les mêmes conditions et par les mêmes procédés dans la Pologne prussienne. Ici du moins il y a un certain libéralisme qui laisse le droit de se plaindre. Les griefs ne se perdent pas dans le silence d’une compression sans limites ; les députés polonais ont aujourd’hui leur place dans le parlement de Berlin, ils défendent pied à pied les privilèges de leur pays. Et cependant le système est-il donc si différent ? Il est moins violent en un certain sens, il a au fond le même but. La Prusse, comme la Russie, s’efforce de dénationaliser la Pologne ; elle y travaille, ainsi que le disait un jour un homme qui a longtemps gouverné le grand-duché, M. de Flottwell, en étouffant insensiblement les mœurs, les inclinations, les tendances polonaises au profit de l’élément allemand. Ce travail d’infiltration de l’élément germanique s’opère de mille façons, par la transformation de la propriété territoriale, avec la complicité de l’état, qui achète quelquefois des terres polonaises pour les revendre avec perte à des Allemands, — par la bureaucratie, par l’enseignement, par la substitution forcée de la langue allemande à la langue polonaise. Il n’y a aucun notaire polonais à Posen. La justice se rend en allemand, et celui qui comparaît devant un tribunal est souvent interrogé, accusé et même défendu dans une langue qu’il n’entend pas. Il en est de même dans l’instruction publique. On n’a pu obtenir jusqu’ici l’établissement d’un lycée polonais ; on a ouvert des écoles d’ouvriers, et les cours se font en allemand. L’enseignement de l’histoire de Pologne est interdit même dans les institutions particulières par cette raison souveraine, « que cette histoire, n’étant point enseignée dans les écoles publiques, ne doit point l’être davantage dans les écoles privées. » Le gouvernement prussien d’ailleurs ne déguise nullement sa pensée ; il l’a dit dans le parlement de Berlin : « La province de Posen, qu’on le sache bien, n’est autre chose qu’une simple province de la Prusse. »

Quant à l’Autriche, je n’ai point à rappeler avec quelle habileté sinistre elle parvint un jour à souffler la haine au cœur des paysans de la Galicie et à les précipiter sur la noblesse polonaise. Une étrange ironie de la fortune a fait de l’Autriche la gardienne des tombeaux de deux héros de la Pologne. L’un est celui de Sobieski, qui repose