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cette nationalité placée sous la garantie de l’Europe, qui par malheur devenait pour l’empereur Nicolas le grand ennemi, et qu’il poursuivait avec l’inflexible vigueur de son caractère dans la religion, dans la langue, dans l’autonomie des institutions et des intérêts, dans l’indépendance du foyer, dans l’enseignement, dans les mœurs et jusque dans l’habit. De là ce système qui commençait dès 1831 par la substitution d’un nouveau statut organique à la constitution de 1815, et qui a été suivi trop longtemps, il faut le dire, avec l’âpreté d’un esprit irrité par la résistance.

Le statut organique de 1831 ne le cachait pas : c’était l’incorporation définitive et absolue du royaume à l’empire de Russie. Aussi la cérémonie du couronnement du roi de Pologne à Varsovie était-elle désormais abolie. L’armée distincte disparaissait, et le recrutement militaire de la Russie était étendu au royaume ; la magistrature cessait d’être inamovible, et les fonctionnaires russes remplaçaient les Polonais dans l’administration ; les chambres constitutionnelles faisaient place à des assemblées provinciales qui n’ont été au surplus jamais convoquées. Alors se déroule toute une politique dont l’unique but semble être de dissoudre tous les liens de la vie nationale dans le royaume comme dans les anciennes provinces. Les écoles supérieures, l’université, la bibliothèque, le musée, l’hôtel des monnaies de Varsovie disparaissent ou sont transférés à Pétersbourg. L’enseignement est réduit à des études techniques, et le latin finit par être banni ; les enfans des paroisses, à quelque classe de la société qu’ils appartiennent, sont tenus de suivre les écoles du gouvernement et d’apprendre la langue russe, sous peine de châtimens corporels pour eux et d’amende pour leurs parens. Un jour on décrète la transportation de cinq mille familles de la petite noblesse polonaise sur les terres de la couronne ou sur la ligne du Caucase, et l’ordre d’exécution ajoute : « Si les gentilshommes polonais n’ont pas envie de se faire transplanter, on est autorisé à les y contraindre par la force. » Un autre jour, le conseil du gouvernement de Varsovie met tout simplement à l’adjudication le transport des fils de nobles polonais à Saint-Pétersbourg sur la mise à prix de 120 roubles papier. Je ne parle pas des autres enfans orphelins transportés à Minsk et des Polonais de tout âge transportés en Sibérie. Tantôt on s’attaque à la religion par les moyens de police, par les expropriations de l’église catholique, par les persécutions, par la conversion forcée de l’église grecque-unie à l’église orthodoxe, tantôt on s’attaque au costume. Il est défendu de porter les costumes nationaux, de faire usage des couleurs bleue, cramoisie et blanche ; le vert et le rouge ne sont pourtant pas totalement interdits aux femmes, et on est admis à porter des chemises blanches. Le costume russe de couleur brune étant beaucoup plus économique,