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dont se réjouissaient Frédéric II de Prusse et Catherine la Grande de Russie comme d’une victoire facile, mais qui faisait monter le remords dans l’âme de Marie-Thérèse d’Autriche, qu’elle appelait « une tache pour son règne, » et à laquelle elle ne souscrivait qu’en jetant un regard effrayé vers l’avenir. Trois fois le partage se renouvelle, — en 1772, en 1793, en 1795, — commençant par laisser vivre une ombre d’indépendance avec une ombre de roi à Varsovie, et finissant par faire tout disparaître, même le nom de la Pologne. À chaque démembrement, on croit avoir réussi ; chaque fois au contraire l’injustice apparaît plus évidente, au point d’être confessée par les copartageans eux-mêmes ; chaque fois la plaie s’envenime, la lutte s’aggrave entre une domination toujours précaire et l’héroïsme d’une race retrempée par le malheur. À ce moment suprême des derniers démembremens, en 1792, la Pologne, ne cède pas sans combat : avant de succomber, elle dépose ses aspirations politiques dans la constitution du 3 mai 1791, et elle reparaît sur les champs de bataille, conduite par Kosciusko. Le héros polonais est vaincu à Macejowice, et l’œuvre commencée en 1772 semble bien près d’être achevée. Jusque-là néanmoins ce n’est qu’une affaire entre la Russie, l’Autriche et la Prusse. L’Europe reste étrangère à cette expropriation d’un peuple.

À l’issue des orages de la révolution française et de l’empire, où les Polonais se jettent avec leur humeur guerrière et croient presque un instant voir renaître une patrie par la création timide, incomplète et éphémère du grand-duché de Varsovie, à l’issue de ces événemens, dis-je, le congrès de Vienne, après avoir fait luire un espoir aux yeux de la Pologne, la laisse retomber sous le triple joug et donne au démembrement la consécration d’un fait accompli. Cette fois du moins le succès semble assuré, le partage entre dans le droit public et se lie à la constitution européenne. En réalité cependant la question est loin d’être résolue. Les traités de 1815 ne font qu’organiser la lutte dans des conditions nouvelles, en mettant une arme de plus dans les mains des Polonais par cette sorte d’hommage rendu à une nationalité qu’on n’ose tuer tout à fait, puisqu’on reconnaît ses titres, puisqu’on stipule en sa faveur des garanties, et dont on n’ose en même temps refuser les lambeaux à ceux qui les revendiquent du droit de première occupation. La question est si peu résolue qu’elle ne tarde pas à renaître d’elle-même au premier ébranlement. En 1830, la Pologne tente encore un immense effort de résurrection, un effort qui suffit un instant à tenir en échec la puissance de la Russie, qui remplit l’Europe d’émotion et d’anxiété. Seule, livrée à ses propres forces, la Pologne ne peut évidemment que succomber. Elle succombera sous le poids des armes, et plus