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inouïe jusque-là se mit à gronder durant la scène de l’orage. Denys reconnut son bien, et, se levant au milieu du parterre : « Mon tonnerre, s’écria-t-il, par Jupiter ! my thunder, by Jove ! »

Deux acteurs et une actrice se détachent à Sadler’s-Wells du fond pâle de la troupe. L’actrice est miss Atkinson, qui joue naturellement le rôle de lady Macbeth. Elle a saisi quelques-uns des traits qui conviennent au caractère de ce démon de l’orgueil et de l’ambition sous la forme d’une femme. C’est en effet dans une juste alliance de la femme et du démon que consisterait, je crois, la perfection de ce rôle, car après tout le monstre féminin n’a pu entièrement étouffer son cœur. Depuis le moment où elle s’avance sur le théâtre d’un air sombre, couvant des yeux et de la pensée la fatale lettre dans laquelle Macbeth lui annonce son entrevue avec les sorcières, jusqu’à la fameuse scène de somnambulisme où, spectre vivant, elle cherche à effacer de sa main la tache de sang imaginaire, miss Atkinson soutient vaillamment une des créations les plus accablantes de Shakspeare. Avec quelle énergie masculine elle dit cette fameuse tirade : « Esprits qui présidez aux pensées des mortels, dépouillez-moi de mon sexe, unsex me here ! » Durant la scène de nuit et d’orage, au moment où elle arrache, après l’assassinat, le poignard des mains de Macbeth, avec quel dédain superbe et quelle force effrayante de caractère elle cherche à relever l’esprit abattu de son mari ! Aidée des traditions du théâtre anglais et inspirée par son talent, miss Atkinson, sans être à la hauteur de mistress Siddons et tout en manquant un peu de, dignité, joue ce rôle mieux que ne le jouerait, je crois, aucune actrice française ; par mieux, j’entends ici cet accent de race, cette voix du sang, pour me servir d’une expression de Shakspeare, qui n’appartient qu’aux sœurs de la mère-patrie[1].

Le second rôle important, celui de Macduff, est rempli par Marston. M. Henri Marston avait étudié la médecine, puis le droit, lorsque le démon de la scène s’empara de lui ; il avait vu jouer Elliston et Charles Kemble. L’idée de les suivre dans la carrière dramatique rencontra la plus grande résistance dans les préjugés de sa famille. Il fut obligé de prendre un nom de guerre[2]. Un bon oncle, maire de Winchester, voulant épargner à ce mauvais sujet de neveu le tort de disgracier une, famille honorable, s’entendit même avec le régisseur pour le faire exclure de la troupe au moment où le jeune acteur comptait obtenir un succès dans la ville. Ces obstacles ne le découragèrent point, et Marston est aujourd’hui,

  1. Miss Atkinson fit en 1850, avec la troupe de Sadler’s-Wells, un tour en Allemagne, où elle fut reçue avec enthousiasme.
  2. Son nom réel est Richard Henry Marsh.