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débuts de cette actrice à Haymarket Theatre, dans le drame de Bulwer, la Dame de Lyons, où elle illustrait le rôle de Pauline. Le bruit se répandit aussitôt qu’une nouvelle étoile s’était levée dans le ciel dramatique. Du premier coup elle supplanta miss Reynolds, qui était jusque-là en possession de la faveur du public. Son succès ne pouvait être comparé qu’à celui d’Edmund Kean, lorsqu’il apparut comme un phénomène sûr les planches de Drury-Lane. D’où venait-elle ? où avait-elle fait son éducation théâtrale ? On apprit qu’après avoir étudié à Londres, en 1852, sur un théâtre d’amateurs situé dans Catherine-street, elle avait couru la province, allant de Richmond à Bristol, de Bristol à Cardiff et de Cardiff à Manchester. M. Buckstone, reconnaissant chez elle un talent qui n’était point à sa place, une lumière sous le boisseau, l’avait enfin engagée à venir briller dans Londres. J’ai vu, depuis ses débuts, miss Amy Sedgwick jouer à Haymarket, dans la Chasse d’amour (Love Chase), une des meilleures pièces de Sheridan Knowles, le rôle de Constance, et celui de Hester dans le Couple mal assorti (the Unequal Match), écrit par Tom Taylor. Ce qui frappe tout d’abord chez cette actrice, c’est la richesse de son clavier dramatique ; elle passe par degrés des tons doux, et en quelque sorte du clair-obscur, aux effets les plus brillans et les plus vigoureux. Dans l’Unequal Match par exemple, pièce admirablement calculée pour faire valoir l’étendue de son talent, elle paraît d’abord comme une villageoise simple, modeste et ingénue, puis comme la femme d’un gentleman à la mode, qui la trahit après l’avoir épousée par amour ; enfin elle se transforme, pour reconquérir le cœur de son mari, en une coquette splendide, la reine de la fashion, l’idole d’une petite cour d’Allemagne, où elle soumet tout à la puissance illimitée de ses charmes. Personnellement miss Amy Sedgwick doit beaucoup à la nature, cultivée par l’art. Ce n’est point une beauté grecque ; c’est une vraie beauté anglaise, grande, luxuriante, avec une bouche, un front et des yeux bleus intelligens, des cheveux d’un brun doré, des sourcils d’un trait ferme et pourtant délicat, des dents d’une blancheur irréprochable, et je ne sais quel air de conquérant qui tient en même temps au caractère de la personne et à la race. Miss Amy Sedgwick avait d’abord tourné ses vues vers la tragédie. Elle a certainement quelques-unes des qualités du genre grave, la réflexion calme, l’enthousiasme i la mélancolie, et le don, assez rare chez les actrices anglaises, de s’élever sans effort comme sans exagération aux transports les plus violens du sentiment dramatique. Je la préfère pourtant, et de beaucoup, dans la comédie. Au lieu de disputer faiblement la palme à Mlle Rachel dans le rôle d’Adrienne Lecouvreur, elle fera mieux de rester sur son terrain, — les comédies de Shakspeare,