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Siddons fit ses débuts, dans une représentation extraordinaire au bénéfice de la troupe, qui se trouvait alors fort à court d’argent. Les officiers d’un régiment qui était en garnison dans la ville offrirent leurs services pour donner plus d’attrait au spectacle. Sarah Kemble, alors une jeune fille de quinze ans, joua dans la pièce le rôle de l’héroïne. Elle devait s’évanouir dans les bras de son amant ; mais au lieu de se trouver mal, elle se prit à éclater de rire et se sauva de la scène, à la grande confusion de l’officier, lequel déclara ensuite qu’il l’aurait volontiers poignardée dans ce moment-là. Plus tard mistress Siddons apparut à Drury-Lane dans le rôle d’Isabella, et son fils Henri personnifiait un enfant qui figure dans la même pièce : le Mariage fatal ; mais quoique Drury-Lane ait été à Londres le berceau de sa profession théâtrale, le nom de cette actrice, comme celui de son frère John Kemble, semble appartenir de préférence à Covent-Garden.

La salle de Covent-Garden a été brûlée plusieurs fois, — c’est la destinée ordinaire des théâtres, — mais je ne signalerai que l’incendie du 5 mars 1852. Étant dès lors à Londres et passant par là, je vis le lendemain les poutres noircies qui fumaient encore ; de l’ancien édifice il ne restait que des pans de murs démantelés. Le feu est pour les théâtres un ennemi bienfaisant ; il les force à se mettre, après quelques années de repos, au niveau des progrès de l’architecture. Le vieux poète Taylord avait déjà fait cette remarque à propos du Globe, qui de son temps avait été détruit par les flammes. Grâce à cette circonstance, le toit de chaume et les murs de bois de l’ancien théâtre avaient été remplacés par un bâtiment plus convenable : « image, ajoute-t-il, des grandes choses qui triomphent grâce aux épreuves de ceux qui osent courir les plus grands dangers. » Au Covent-Garden que j’avais vu en arrivant à Londres, lourde et large construction d’un style tant soit peu cénobitique, a succédé de même, par les amères faveurs de l’incendie, un des édifices les plus élégans que je connaisse et les mieux appropriés au caractère d’un théâtre. L’architecte est M. Barry, qui a élevé le nouveau palais de la chambre des communes. Les bas-reliefs et les statues de Flaxman, qui décoraient l’ancien monument ruiné par les flammes, ont été sauvés et ajustés au nouveau avec un goût merveilleux. Au théâtre se rattache un palais de cristal ou un palais des fleurs (floral hall), qui sert à la fois de salle de concert et de délicieuse promenade. À l’intérieur, la salle de spectacle ne peut être comparée pour la grandeur et la magnificence qu’à la Scala de Milan. Le lustre monumental suspendu à un plafond ou pour mieux dire à un dôme d’azur pâle, les richesses du proscenium, qui écraseraient tout autre théâtre d’une dimension moins auguste, mais qui s’appuient