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aux théâtres modernes de Londres, surtout au point de vue où l’on s’est placé dans cette série, l’étude de la vie et des mœurs anglaises. Quoique nos voisins aient brillé au théâtre dans plus d’un genre, je ne toucherai cette fois qu’au drame de l’école nationale. Ce qu’était il y a quelques années le drame anglais sous le système du privilège, ce qu’il est devenu sous le régime de la liberté, les causes de décadence qui ont altéré dans la patrie de Shakspeare unie des gloires de la littérature britannique, voilà bien des questions assez intéressantes pour que l’attention s’y porte d’abord.


I

Trois grands théâtres jusqu’en 1832 avaient seuls le privilège de jouer ce que les Anglais appellent le drame légitime, legitimate drama ; c’étaient Drury-Lane, Covent-Garden et Haymarket.

L’édifice sombre, massif, sans style, au moins à l’extérieur, qui porte aujourd’hui le nom de Drury-Lane-Theatre, a été construit en 1812 ; mais il succède à d’autres monumens du même genre qui ont été tour à tour bâtis, abattus et rebâtis à peu près sur le même emplacement. Dès le temps de William Shakspeare, il existait dans Drury-Lane[1] un ancien cockpit (arène pour les combats de coqs), qui avait été converti en une salle de spectacle sous le nom de Phœnix. Durant les guerres religieuses, le Phœnix subit la destinée des autres théâtres. Détruit par une bande de puritains en 1617, reconstruit, fermé en 1648 par la même secte de fanatiques, alors maîtresse de l’Angleterre, il laissa passer l’orage[2]. La restauration fut pour les théâtres une époque de renaissance. Un certain Thomas Killigrew obtint alors de Charles II le privilège d’amuser le public avec des drames, des danses et de la musique. Sa troupe, après avoir erré quelque temps, se fixa sur le terrain de l’ancien cockpit, qui se trouva ainsi élevé à la dignité de théâtre royal, King’s theatre. Mécontent de cette vieille salle, Killigrew en fit bientôt bâtir une nouvelle, et l’ouvrit en 1663. Cette dernière peut être considérée comme la souche du théâtre actuel de Drury-Lane. À dater de ce moment, on peut en effet suivre une filiation non interrompue

  1. Cette ruelle devait son nom à l’ancienne famille des Druries, qui y demeuraient dans une maison bâtie par sir William Drury, chevalier de la Jarretière, qui s’était distingué comme général dans les guerres d’Irlande et qui fut tué en duel. S’il faut en croire Pope, la ruelle de Drury était habitée de son temps par les écrivains pauvres.
  2. Dans l’intervalle, le Phœnix avait représenté les ouvrages des bons auteurs dramatiques du second ordre, Maasinger, Ford ; Webster, Marlowe, Heywood, Rowley, etc.