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du savant ; les relations générales qu’elles peuvent entrevoir ou établir reposent sur des inductions plus ou moins vraisemblables, parfois même sur de simples conjectures dont il est impossible de poursuivre la réalisation au-delà du domaine extérieur des phénomènes observés… Au contraire, les sciences expérimentales ont le pouvoir de réaliser leurs conjectures. Ce qu’elles ont rêvé, elles le réalisent en acte. Les types conçus par le savant, s’il ne s’est point trompé, sont les types mêmes des existences. Son objet n’est point idéal, mais réel… La chimie possède cette faculté créatrice à un degré plus éminent encore que les autres sciences, parce qu’elle pénètre plus profondément et atteint jusqu’aux élémens naturels des êtres. Non-seulement elle crée des phénomènes, mais elle à la puissance de refaire tout ce qu’elle a détruit ; elle a même la puissance de former une multitude d’êtres artificiels, semblables aux êtres naturels, et participant de toutes les propriétés de ceux-ci. Ces êtres artificiels sont les images réalisées des lois abstraites dont elle poursuit la connaissance. » On le voit, si l’enthousiasme manque quelquefois aux savans, on ne fera point un tel reproche à M. Berthelot. Il a conçu de sa science une si haute idée, qu’elle devient pour lui plus grande que la nature elle-même, et comprend à la fois le monde véritable et un monde artificiel que l’homme peut évoquer à son gré.

Après avoir montré que l’édifice des combinaisons peut être construit à l’aide des seules forces chimiques, M. Berthelot s’attache encore à démontrer que le jeu de ces forces suffit à expliquer toutes les métamorphoses de la substance organisée : décompositions, germinations, nutrition des animaux, fermentations de tout genre, tout doit trouver son explication dans de simples réactions, qui font succéder un équilibre atomique à un autre équilibre atomique. La vie n’apparaît plus nulle part, on l’a bannie ; l’être vivant n’est plus qu’un alambic ; les affinités y opèrent avec la même énergie, de la même façon que dans le monde minéral ; l’acide y cherche la base, et les groupemens s’y opèrent au gré des mêmes forces qui fixent le minéral sur la paroi d’un filon, ou qui précipitent certains sels au fond des eaux. La chimie organique ne se préoccupe, il est vrai, que de la composition des principes immédiats ; elle ne cherche pas à pénétrer les lois en vertu desquelles ces derniers s’associent et se combinent pour former l’être vivant, elle ne s’inquiète même pas de ce qui, dans l’organisme, imprime au principe immédiat une structure, une forme particulière. Arrivée à ce point, elle laisse à la physiologie le soin de pénétrer plus avant dans les mystères de l’organisation ; mais n’est-ce pas beaucoup déjà que d’avoir fourni la théorie à peu près complète des principes immédiats, puisque ceux-ci sont les matériaux nécessaires de la vie ?