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soumis à une température assez élevée pour annihiler les semences et les œufs. Enfin, en tamisant l’air dans un long tube rempli de coton qui retient toutes les particules solides, on arrive au même résultat négatif, et pour peu qu’on place le coton, ainsi enrichi de semences, dans le jus fermentescible, les métamorphoses ordinaires commencent aussitôt. On est allé jusqu’à étudier, à l’aide du microscope, les spores capables de provoquer la fermentation et ceux qui ne la produisent pas. Ces ingénieuses expériences ont jeté une grande lumière sur les circonstances qui facilitent la fermentation.

Si les conditions du phénomène sont nettement connues, l’explication se fait attendre encore. Suivant certains chimistes, les germes vivans se nourrissent du liquide où ils se trouvent jetés, et, en accomplissant cet acte physiologique, modifient nécessairement la composition du milieu où ils sont placés. En s’emparant de certains élémens, ils forcent les autres élémens à se grouper d’une nouvelle manière. D’après ce point de vue, la fermentation opérée sous l’influence des êtres vivans serait un véritable acte physiologique en corrélation immédiate avec un phénomène de nutrition. M. Berthelot repousse cette manière de voir : pour lui, le cryptogame vivant n’agit pas directement sur ce qui fermente, mais seulement par l’intermédiaire des fermens solubles qu’il a la propriété de sécréter, et ces fermens solubles déterminent une action de contact ordinaire. L’être animé n’apparaît que comme le récepteur, le véhicule de la substance chimique agissante. Cette théorie, fondée sur la sécrétion des fermens, ne peut être acceptée sans restriction : si elle a l’avantage de rattacher les fermentations aux actions de contact ordinaire, elle a l’inconvénient de reposer sur une pure hypothèse ; elle a été inspirée par cette préoccupation qui se révèle dans tout l’ouvrage du savant chimiste, et qui consiste à rejeter les forces vitales en dehors du domaine de la science.

C’est cette tentative qui donne à l’œuvre de M. Berthelot un caractère d’unité vraiment philosophique. Les synthèses opérées systématiquement et avec tant de succès par le jeune chimiste dont j’ai analysé les travaux ont montré que l’abîme, qu’on avait si longtemps laissé ouvert entre la chimie minérale et la chimie organique pouvait être comblé, que les élémens et les forces purement chimiques prêtent un secours suffisant pour construire une multitude de substances que nous rencontrons dans la nature organisée. Plus féconde même que la nature, qui se borne à un nombre de combinaisons restreint, la science peut les multiplier à l’infini. « La chimie crée son objet, dit avec raison M. Berthelot. Cette faculté créatrice, semblable à celle de l’art lui-même, la distingue essentiellement des sciences naturelles et historiques. Les dernières ont un objet donné d’avance, et indépendant de la volonté et de l’action