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plus importante peut-être en raison de ses applications physiologiques. » Pour les obtenir artificiellement, il a fallu imaginer des méthodes qui permissent d’unir la glycérine aux divers acides gras ; enfin, poussant encore plus loin ses investigations, M. Berthelot a étudié au même point de vue les composés susceptibles d’être obtenus à l’aide de diverses matières sucrées qui jouent un rôle semblable à celui de la glycérine. Il a fait rentrer toutes ces combinaisons dans une théorie générale, où les corps gras ordinaires et les sucres deviennent le point de départ d’une infinité de substances que la synthèse peut produire en vertu de certaines lois. C’est par centaines de millions qu’on peut compter ces corps artificiels possibles, dont la nature n’a réalisé qu’un certain nombre, mais que la science peut multiplier en quelque sorte indéfiniment !

Le domaine de la chimie organique s’agrandit ainsi à mesure que l’on connaît mieux les fonctions-de ces composés-types, carbures d’hydrogène, alcools ordinaires, matières sucrées, corps gras, et pourtant, après avoir parcouru une telle carrière, on voit s’ouvrir des horizons encore plus vastes : la synthèse n’a pas touché jusqu’ici aux essences, aux matières colorantes, aux substances albuminoïdes, dont l’étude est pleine d’obscurités. Ce sont autant de mondes nouveaux qui attendent un explorateur. Lorsqu’on aura découvert, en joignant les efforts de la synthèse à ceux de l’analyse, le rôle de ces composés, leur fonction chimique en quelque sorte, il deviendra facile de multiplier à l’infini le nombre des substances organiques qui s’y rattachent. M. Berthelot est encore assez jeune pour qu’il soit permis d’espérer qu’il pourra lui-même aborder ces délicates études après avoir déjà enrichi d’une manière si inespérée les parties de la science vers lesquelles il a tourné son esprit philosophique et créateur.

Résumant ses laborieux travaux, le savant chimiste avait acquis le droit d’écrire : « La synthèse étend ainsi ses conquêtes, depuis les élémens jusqu’au domaine des substances les plus compliquées, sans que l’on puisse assigner de limite à ses progrès. En effet ; si l’on envisage par la pensée la multitude presque infinie des composés organiques depuis les corps que l’art sait reproduire, tels que les carbures, les alcools et leurs dérivés, jusqu’à ceux qui n’existent encore que dans la nature, tels que les matières sucrées et les principes azotés d’origine animale, on passe d’un terme à l’autre par des degrés insensibles, et l’on n’aperçoit plus de barrière absolue et tranchée que l’on puisse redouter avec quelque apparence de certitude de trouver infranchissable. »