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de la classification au rôle prépondérant que joue l’oxygène ou l’élément comburant dans les combinaisons des corps ; en second lieu, ils découvrirent que dans les composés organiques on peut extraire une à une les molécules d’un corps simple pour y substituer les molécules d’un autre corps simple ou même d’un radical composé. L’échelle de combustion, la loi des substitutions, devinrent les bases de la doctrine scientifique.

Sur le premier point, voici ce qu’écrivait Gerhardt, le chimiste éminent dont la science déplore la mort récente et prématurée : « Les deux extrémités sont occupées d’une part, au sommet, par la matière cérébrale, l’albumine, la fibrine et les autres substances plus complexes, et d’autre part, au pied, par l’acide carbonique, l’eau et l’ammoniaque… Une infinité d’échelons occupent l’intervalle… Le chimiste, en appliquant les réactifs de combustion aux substances placées dans les échelons supérieurs, descend l’échelle, c’est-à-dire qu’il simplifie peu à peu ces substances en brûlant successivement une partie de leur carbone et de leur hydrogène. » La loi des substitutions, due à M. Dumas, donna une nouvelle élasticité aux formules de la classification. Laurent la développa avec ardeur, et se laissa ainsi entraîner aux théories les plus hasardées[1]. C’est surtout à lui qu’on peut appliquer ce jugement sévère de M. Berthelot : « Presque tous les systèmes construits depuis vingt-cinq ans présentent ce caractère commun et singulier d’être fondés à peu près exclusivement sur la combinaison des signes et des formules. Ce sont des théories de langage et non des théories de faits. Aussi il arrive bien souvent aux chimistes de prendre les propriétés des nombres cachées dans leurs formules pour les propriétés mystérieuses des êtres véritables : illusion analogue à celle des pythagoriciens, mais peut-être moins justifiée par la nature des sciences expérimentales. »

Les formules chimiques indiquent pour ainsi dire en bloc la composition des corps : elles donnent, pour un composé organique, le nombre des atomes de carbone, d’oxygène, d’hydrogène et d’azote ; elles n’apprennent rien sur la manière dont ces atomes se trouvent groupés. Sur ce point, le chimiste peut spéculer à l’aise et combiner les atomes de la façon qui lui paraît répondre le mieux aux affinités qui se révèlent lorsque le corps se décompose ou se trouve en contact avec d’autres substances. Ce travail nouveau a un grand intérêt, car il ne tend à rien moins qu’à représenter par de purs symboles les propriétés mêmes de la matière ; mais on conçoit aisément

  1. Voyez, sur les théories de M. Laurent, une étude de M. Paul de Rémusat dans la Revue du 1er février 1855.