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un discours sur les affaires d’Italie dont ceux même qui ne partageaient point ses idées n’avaient pas hésité à reconnaître l’éloquence. M. Keller a été moins heureux dans sa dernière tentative. Le vice de son discours et le succès de murmures qu’il a obtenu proviennent de la fausse position où l’orateur et le gros de son parti se sont si malheureusement placés. De quoi se plaint M. Keller ? De la malveillance dont son parti serait l’objet de la part du gouvernement, des restrictions qui seraient mises à la liberté de l’église et de ses défenseurs ? Pour être intéressant, il fallait que M. Keller plaidât la liberté pour tous et invoquât également le droit commun au profit de chacun. Certes, après les faits qui ont été récemment révélés devant le sénat, quand on voit des préfets appeler dans leurs cabinets des curés dont ils sont mécontens et les corriger par le retrait de leurs traitemens, lorsqu’on a assisté à la suppression de journaux religieux, ou qu’on gémit des entraves mises à la circulation des brochures favorables au saint-siège, on devrait, par un sentiment naturel, se joindre à ceux qui réclament la liberté. On devrait surtout comprendre l’étroite solidarité qui existe entre la souveraineté temporelle donnée au pouvoir religieux sur un point et l’asservissement, au moins partiel, des organes religieux à l’état sur tous les autres points. Les âmes croyantes notamment devraient commencer à s’apercevoir de la grandeur de l’idée de M. de Cavour montrant la liberté de l’église dans le renoncement au pouvoir temporel. Ce n’est pas à ce large point de vue de la liberté et du droit commun que M. Keller s’est placé. Il n’a eu l’air d’exprimer qu’un regret, c’est que sa cause ne jouît plus des faveurs du pouvoir, et fût devenue au contraire l’objet de ses défiances et de ses sévérités. M. Keller s’est complu, lui aussi, dans ce radotage qui partage arbitrairement les citoyens en bons et en méchans, en conservateurs et en révolutionnaires : croyant avoir à se plaindre du gouvernement, ce sont les libéraux qu’il a blessés et exaspérés. Voilà une habileté qui passe notre intelligence. Nous avons peine à comprendre également les vives critiques adressées par l’honorable député catholique aux journaux. Est-il généreux de retourner le fer dans la blessure de ces pauvres journaux et de leur faire honte de leur dépendance ? Croit-on qu’ils ne connaissent point assez les misères dont ils souffrent ? Est-ce à eux qu’il faut imputer le régime actuel de la presse ? Au lieu de les accabler de reproches qu’ils ne méritent point, ne serait-il pas plus simple et plus noble, quand on est député, de travailler à la réforme de la législation de la presse ?

Nous ne savons s’il faut mettre au compte des petites misères dont souffre la presse la publicité qu’un grand nombre de feuilles de Paris et des départemens ont donnée à un ridicule article du Morning Post, qui n’aurait pas sans cela mérité d’être relevé. Malgré la renommée que certaines correspondances ont faite en France au Morning Post, ce journal n’en est pas moins dans son propre pays une feuille dénuée d’influence. On l’a bien trop flatté en prétendant qu’il est l’organe de lord Palmerston, qui préfère avec raison un sourire de l’éditeur du Times aux grossières louanges