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et vis-à-vis de l’étranger. En se rendant compte du mal, les Italiens comprendront mieux ce qu’ils ont à faire pour en conjurer les conséquences, et découvriront les compensations qu’il leur est permis d’espérer.

Le premier devoir que la mort de M. de Cavour impose aux Italiens, c’est l’union et la prudence. On doit reconnaître qu’ils se sont spontanément appliqués à le remplir. Les Italiens ont depuis trois ans étonné le monde par leur sagesse, et déjà ils se préparent à lui donner de nouvelles surprises du même genre. Dès que M. de Cavour a cessé de vivre, la voix publique, avec un ensemble qui révèle chez les Italiens un remarquable instinct politique, a appelé au pouvoir le baron Ricasoli. Tout le monde a senti que le premier besoin de l’Italie était que le gouvernement fût dans une main ferme. Au rusé, tenace, hardi et brave Piémontais, l’on a voulu donner pour successeur un Florentin que l’imagination se représente comme descendu tout vivant de l’âpre république du moyen-âge. On suppose M. Ricasoli moins souple que n’était M. de Cavour ; on lui attribue une certaine raideur, une obstination qui se prête mal aux compromis : l’on exagère sans doute les inconvéniens du caractère de M. Ricasoli ; mais, symptôme digne de remarque des dispositions présentes des Italiens, c’est justement parce qu’il possède les qualités des défauts qu’on lui attribue que l’acclamation publique a décerné le pouvoir à M. Ricasoli.

L’unité de l’Italie n’a pas de plus énergique partisan que l’ancien dictateur toscan ; on se souvient que c’est à lui, à sa résolution inflexible, qu’est due la première annexion, l’annexion de la Toscane, celle qui a déterminé le succès et la force du mouvement unitaire. L’on sait aussi que plus qu’aucun autre homme d’état italien il se montrerait décidé au besoin à réprimer tout mouvement intempestif et téméraire qui pourrait mettre en péril les résultats acquis et compromettre l’achèvement de l’œuvre entreprise par l’Italie. En appelant M. Ricasoli au ministère, les Italiens prennent en quelque sorte des précautions contre eux-mêmes, et cherchent à se donner une garantie contre les témérités des mauvaises têtes. Nous le répétons, on grossit trop ce qu’il peut y avoir de raideur dans le caractère de M. Ricasoli ; mais les Italiens aimeraient mieux en ce moment un pouvoir qui maintiendrait l’ordre par un excès de vigueur qu’un ministère qui le mettrait en péril par un excès de mollesse et par un esprit de conciliation dégénérant en faiblesse. On dirait que les Italiens ne s’en remettent plus aux ministres du soin de les concilier et font de la concorde leur affaire personnelle. Par une étrange coïncidence, où le hasard est sans doute pour beaucoup, Naples et la Sicile, envoient à Turin, depuis la mort de M. de Cavour, les meilleures nouvelles qu’on en eût encore reçues depuis l’annexion. À Naples, M. Ponza di San-Martino, qui passe pour être l’administrateur le plus capable qu’il y ait en Italie, réussit à merveille. Les Napolitains sont satisfaits de voir à la tête du gouvernement M. Ricasoli, qui à leurs yeux, au mérite de n’être pas Piémontais, joint celui d’être un unitaire coulé en bronze. Les Siciliens sont si contens du gouvernement de M. della Rovere qu’on en est surpris à Tu-