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l’abolition des corn laws, quoique la question se présentât tout autrement que chez nous. Pour les Anglais, il ne s’agissait point d’un excédant à écouler, mais d’un déficit permanent à combler, leur nombreuse population industrielle ayant rendu insuffisante leur production agricole, si parfaite qu’elle soit, et la nécessité d’un approvisionnement étranger frappait tellement tous les yeux, qu’une majorité composée de propriétaires fonciers n’a pas hésité à s’y résigner. La même adhésion se produirait d’autant plus chez nous, même en plein gouvernement parlementaire, qu’au lieu de demander un sacrifice à nos producteurs, on leur offre un bénéfice. La liberté de commerce, qui fait baisser les prix moyens en Angleterre, doit les faire monter en France, puisque les deux pays vont se trouver en communication constante,- et que les prix sont habituellement plus élevés sur le marché anglais que sur le nôtre.

Un seul reproche peut être adressé au projet de loi, il arrive dans un moment peu opportun. Supprimer toute entrave à l’exportation, quand le blé est en France à 23 francs et en Angleterre à 26, c’est rompre bien résolument avec les préjugés. Dans les discussions antérieures sur l’échelle mobile, les partisans de ce système nous répondaient toujours que, si la loi était révisée, la liberté d’importation deviendrait une vérité, mais que la liberté d’exportation ne serait jamais qu’un leurre. « Quand le blé sera cher, disait-on, le gouvernement ne manquera pas de prohiber l’exportation, et nous aurons à subir la concurrence des blés étrangers sans pouvoir écouler librement les nôtres. » Or c’est au moment où, suivant nos adversaires, le gouvernement ne pourrait pas maintenir la liberté de sortie, si elle existait, qu’il propose de l’établir, quand elle n’existe pas. Il est impossible de faire une réponse plus significative. Allons-nous maintenant entendre de nouveau les vieilles déclamations contre les accapareurs ? Allons-nous remonter par la parole aux bons temps de la convention, où l’on prétendait imposer un maximum de prix, et où l’on prohibait l’exportation des grains sous peine de mort ? Il faut espérer que non. Si rien n’est plus facile que ce genre d’opposition, rien n’est plus creux. On peut obtenir un moment par là une fausse popularité, mais ce n’est pas en flattant les erreurs du peuple qu’on travaille véritablement à son bien. Même en admettant, ce qui n’est pas sûr, que le premier effet de la loi détermine un surcroît de hausse, il ne faut pas regarder au présent, mais à l’avenir, et des circonstances transitoires doivent disparaître pour le législateur devant les besoins permanens du pays.

Seulement, puisque le gouvernement prenait si bien son parti, il aurait pu, ce semble, aller jusqu’au bout et s’interdire à tout jamais le droit arbitraire de prohiber l’exportation. Ce droit résulte du paragraphe