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jusqu’à ces dernières années, on n’avait eu en vue qu’un seul côté de la question, l’importation. Nos producteurs n’avaient tenu nul compte de la possibilité d’exportation de nos propres grains, qui paraissait en effet chanceuse et limitée, et ne songeaient qu’à se prémunir contre la concurrence des grains étrangers, et en particulier des blés d’Odessa. Le mécanisme compliqué des zones et des marchés régulateurs n’avait pas d’autre but. Le prix des grains sur le marché d’Odessa justifiait en apparence ces craintes, car il se maintenait entre 8 et 10 francs l’hectolitre, et on s’imaginait que, si les portes venaient à s’ouvrir en tout temps, des masses de grains s’écrouleraient sur nos marchés de manière à y maintenir les prix au même niveau. On ne songeait pas qu’à ce prix les producteurs russes ne pouvaient en fournir que de faibles quantités, et que si la demande venait à s’accroître, il s’ensuivrait sur les lieux de production une hausse infaillible ; on songeait encore moins que les frais de transport, soit de l’intérieur de la Russie au port d’embarquement, soit du port d’embarquement dans nos propres ports, s’accroîtraient dans une proportion considérable avec les quantités à transporter ; on oubliait enfin que, dans des pays presque sauvages comme la Russie méridionale, la culture des céréales ne pouvait s’étendre sans une addition lente et coûteuse de bras et de capitaux : l’imagination effaçait les distances, les difficultés de la culture, l’embarras des transports, et on ne trouvait pas de remparts assez hauts pour se défendre contre une invasion qui semblait imminente et formidable.

Depuis 1840 environ, les prix ont commencé à subir à Odessa une hausse graduelle qui a dissipé peu à peu ces terreurs ; de 10 francs l’hectolitre, on a vu les grains monter dans ce port à 12, 14, 16, 18, 20 francs et même au-delà. La réforme des corn laws en Angleterre, en ouvrant un immense débouché, a donné à ces prix un caractère de continuité qui les a rapprochés des nôtres. Voici, par exemple, quel a été le prix moyen du blé à Odessa et en France depuis cinq ans :


France Odessa Différence
1856 30 fr. 75 c. 22 fr. 58 c. 8 fr. 17 c.
1857 24 fr. 37 19 fr. 53 4 fr. 84
1858 16 fr. 75 14 fr. 78 1 fr. 97
1859 16 fr. 74 14 fr. 50 2 fr. 24
1860 20 fr. 41 17 fr. 25 3 fr. 16

Nous empruntons ces chiffres à l’excellent exposé des motifs qui accompagne le nouveau projet de loi. Pour en bien apprécier la portée, il faut ajouter aux prix d’Odessa 3 francs au moins pour représenter les frais de tout genre jusqu’à Marseille, et un autre