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140 au commencement de 1860. Il n’est pas à souhaiter du reste que le mari et la femme appartiennent à deux sociétés différentes ; mais on peut émettre le vœu qu’un chef de famille n’entre jamais dans une association sans y agréger aussi sa femme et ses filles, et que les femmes isolées continuent à s’associer entre elles. Il est naturel qu’elles aient recours aux mêmes institutions que les hommes, ayant plus de besoins et moins de ressources. Dans les rangs élevés de la société, et même dans les conditions moyennes, les femmes sont entourées de bien-être ; on ménage leur faiblesse, on les traite un peu en malades. Les femmes d’ouvriers, qui n’ont ni la santé ni la force de leurs maris, travaillent autant qu’eux et sont plus durement traitées. Est-ce juste ?

Plusieurs chefs d’industrie ont établi chez eux, entre leurs ouvriers, des associations dont ils sont eux-mêmes membres non participans[1]. Ces sortes de fondations ne sont pas moins précieuses aux yeux de la morale qu’à ceux de l’humanité. Elles donnent des retraites aux vieillards et des pensions aux veuves[2] ; elles rendent ainsi la sécurité de l’ouvrier complète en le garantissant non-seulement contre la maladie, mais contre la vieillesse et contre la mort. Son travail, qui nourrit chaque jour sa famille, profitera encore aux siens quand il ne sera plus ; c’est une nouvelle raison pour lui d’aimer le travail et la manufacture, qui le traite en fils adoptif. Cette maison est bien sa maison, puisqu’elle lui sera fidèle au-delà du tombeau ; il est bien juste qu’il se passionne pour ses intérêts. Quand il a obtenu sa retraite, on le voit rôder dans les ateliers dont il est le patriarche, où tout le monde, depuis le maître jusqu’aux apprentis, lui témoigne de l’affection et du respect. C’est lui qui se charge de donner des conseils aux nouveau-venus et de leur apprendre à soutenir l’honneur du drapeau industriel.

Les caisses d’épargne ont un caractère plus personnel que les associations de secours. Les déposans à la caisse d’épargne restent propriétaires de leur apport, qui leur est rendu sur leur demande avec les intérêts depuis le moment du dépôt ; au contraire, dans les sociétés de secours, la cotisation, dès qu’elle est déposée, cesse d’appartenir au sociétaire, et la maladie seule donne des droits à

  1. Nous citerons la caisse de secours de M. David Bacot, au Dijonval, fondée il y a vingt ans. M. Bacot double toutes les mises. M. Charles Kestner, à Thann, donne des pensions de retraite à ses ouvriers, sans exercer pour cela aucun prélèvement sur leurs salaires. Ces retraites peuvent monter jusqu’à une rente annuelle de 540 francs. La veuve d’un ouvrier mort après vingt ans de collaboration a droit à une pension annuelle de 120 francs. L’établissement de Wesserling consacre 17,000 francs tous les ans à des pensions de cette nature.
  2. Les sociétés de secours mutuels ne donnent de pensions aux veuves en aucun cas. L’article 6 du décret du 23 mars 1852 ne les autorise à « promettre des pensions de retraite » que lorsqu’elles ont un nombre suffisant de membres honoraires.