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mise en contraste avec l’attitude molle et indécise d’une tribu voisine et congénère, les Ingousches. Ceux-ci, oscillant entre la loi de Mahomet et quelques réminiscences confuses des pratiques du christianisme qui leur furent jadis enseignées, se sont laissé entraîner facilement vers les Russes, et ce fait n’est pas particulier aux tribus caucasiennes seulement ; il existe et se renouvellera partout où règne l’islamisme pur, doctrine incompatible avec toute civilisation qui est l’expression d’un autre système religieux.

Resserrés entre les Kabardiens et les Ossètes à l’ouest et les Tartares Koumouks à l’est, confinés dans le fond de leurs vallées, les Tchetchenses étaient une peuplade obscure et encore ignorée au moment où la guerre récente les a mis en évidence. Il n’est pas probable cependant qu’ils se soient conservés inactifs dans les nombreuses coalitions formées par les tribus du Daghestan pour repousser les invasions des Mongols, des Persans ou des anciens Russes ; mais, dans les récits de ces invasions que l’histoire a enregistrés, ils ne sont jamais mentionnés sous un nom particulier. Celui qu’ils se donnent à eux-mêmes, Naktsché ou Naktschoï, ne nous a été révélé que depuis peu de temps : la dénomination de Tchetchense leur vient, paraît-il, des Russes, qui les désignaient ainsi parce que l’aoûl de Tchetchen, situé sur l’Argoun, près du défilé de Khan-Khalyk, dans la grande Tchetchenia, était jadis le lieu de rassemblement et le point de départ de toutes leurs expéditions.

Dans leurs traditions, ils racontent qu’ils sont descendus, il y a bien des siècles, des hautes montagnes, et que l’insuffisance et la stérilité du sol les conduisirent dans les vallées. Ce fut d’abord une population clair-semée dans les forêts. De proche en proche, elle gagna les contrées entre le Térek et la Soundja, entre le Bas-Argoun et la chaîne de Khan-Kalyk, ensuite les premiers contre-forts des montagnes entre l’Ak-Saï et l’Ak-Tasch (affluens du Térek). Les Tchetchenses étaient alors divisés en tokhoums (familles) vivant séparées, et indépendantes l’une de l’autre. Ces familles, en se rapprochant, formèrent des villages qui avaient chacun son autonomie sous la juridiction des anciens. Comme le pays était sans maître, chaque tokhoum s’attribua la propriété de la clairière qu’elle avait pratiquée dans les forêts. Les Tchetchenses qui avaient franchi la Soundja et qui s’étaient établis dans les pâturages appartenant aux chefs de la Kabarda durent leur payer, comme redevance, une mesure de froment par maison et se soumettre au régime aristocratique en vigueur parmi les Kabardiens, tandis que les plus voisins du pays des Koumouks reconnaissaient l’autorité de ses princes ; mais la masse de la nation resta fidèlement attachée à ses institutions démocratiques. Cette séparation des familles ou tokhoums produisit et entretint