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d’échange alimenté par les productions naturelles des montagnes ou par celles d’une industrie naissante ? Telles sont les questions qu’agite l’auteur des Lettres sur le Caucase, et qui impliquent deux hypothèses très douteuses dans notre opinion. Les Tcherkesses ne sont point une émanation de ces races inférieures, a coloration rouge ou jaune, qui, par une sorte de loi fatale, se sont dispersées et comme évanouies, au souffle meurtrier de la race blanche, sur une foule de points du globe : ils appartiennent à cette même race blanche comme un de ses types les plus beaux ; ils ont en germe toutes ses qualités morales, ils sont doués au plus haut degré d’énergie et d’activité. Ces qualités, ils les ont déployées partout où le sorties a jetés, dans l’ancien empire des khalifes, en Égypte et en Turquie. Nous inclinerions plus volontiers à croire qu’au moment où sonnera l’heure suprême de leur asservissement, ils feront ce qu’une partie d’entre eux a fait déjà : ils courberont la tête avec l’espérance inextinguible, sans doute illusoire, de jours meilleurs, ou bien ils iront chercher une nouvelle patrie sur la terre étrangère.

Ce ne sont pas seulement les dissensions intestines qui leur ont été funestes ; leur ruine est due aussi à un concours de circonstances fatales, indépendantes de leur volonté : la substitution des Russes, comme voisins immédiats en Crimée, aux Tartares, adversaires qu’ils pouvaient contre-balancer, l’affaissement graduel de la Turquie, leur auxiliaire naturel, et le blocus rigoureux de leurs côtes par les croisières russes, qui les a laissés en proie au dénûment et à la famine.

Il ne faut pas s’y tromper, la lutte dans le Caucase occidental a été dans le principe non point un fait local, mais une phase du duel du tsar et du sultan, où l’intervention des Tcherkesses était pour celui-ci un très utile appoint, de même que dans le Daghestan la véritable rivalité était entre la Russie et la Perse. Les échecs éprouvés successivement par la Perse et la Turquie dans la guerre de 1828 et 1829, et qui préparèrent les traités de Turkman-tchaï et d’Andrinople, en assurant la prépondérance de la Russie, éloignèrent du Caucase la diversion des deux puissances qui lui faisaient obstacle, et laissèrent les montagnards sans autre défense que leurs bras intrépides et les remparts de leurs rochers.

Dans ces dernières années, si le drame long et sanglant qu’a vu se dérouler le Daghestan, et qui a eu pour péripétie la chute du héros de la résistance, a absorbé l’attention générale, le pays des Tcherkesses a été en même temps le théâtre d’une épopée moins retentissante, il est vrai, mais dont le dénoûment n’aura pas moins d’importance. La possession du flanc droit assure en effet à la Russie une position militaire et politique du premier ordre. Au nord, combinée