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sa tendance étroite et exclusive, avait sa valeur comme sauvegarde d’honneur et d’indépendance, le privilège de la noblesse du sang, est maintenu avec une rigueur extrême chez les Tcherkesses. Aussi chacun de ceux à qui le titre de pché est légitimement acquis se montre-t-il très sévère dans le choix de ses alliances matrimoniales et dans le soin de conserver intact son arbre généalogique : un mariage contracté dans une classe inférieure serait une tache dégradante et qui lui attirerait le mépris général. Légalement égaux entre eux, les plus influens sont les princes qui ont le plus grand nombre de parens, d’amis ou de vassaux prêts à prendre les armes à leur appel. À défaut d’enfant mâle, les filles héritent de leur père, et l’époux qu’elles se donnent devient le maître de la principauté, mais avec un pouvoir moins respecté que celui que consacre une longue possession ou la gloire militaire. Les nobles attachés comme cliens à un prince le servent en qualité d’écuyers ou d’échansons, ou comme gardes du corps et compagnons d’armes. Tout prince ou noble peut être appelé à la tête d’une expédition guerrière, et ce choix, qui est fait dans un congrès général, tombe sur le plus renommé par sa bravoure et son expérience, ou sur celui qui a su se créer le parti le plus considérable. Son commandement est limité au temps que dure l’expédition.

La classe des affranchis se compose des serfs qui ont obtenu leur liberté en récompense d’un service rendu, ou qui, ayant été vendus comme esclaves, reviennent dans leur patrie avec une petite fortune qui les met à même d’acheter un domaine. La liberté passe à leurs enfans, qui jouissent des mêmes droits que les nobles.

Les vassaux ou serfs résident de père en fils sur les terres du prince ou du noble dont ils relèvent. Ils sont astreints à la culture des terres et ont à payer par paire de bœufs une redevance en nature, qui varie de douze à quatorze sacs de millet ; mais avant tout ils doivent la prestation du service militaire. Chaque serf possède une portion de terrain et des bestiaux, sur lesquels le seigneur n’a rien à prétendre. L’autorité de celui-ci n’est nullement absolue : il ne peut vendre son vassal que dans le cas de faute grave, et après un jugement prononcé par l’assemblée de la tribu. Ce vassal à son tour peut, en cas de mécontentement grave et suffisamment motivé, quitter son maître, en choisir un autre et aller résider ailleurs. Un pouvoir ainsi tempéré, et dont l’exercice est restreint par les anciens usages, est peu sensible ; il se réduit à une tutelle toute de confiance et d’une nature patriarcale.

Les mêmes garanties n’existent pas en faveur des esclaves ; ils peuvent être vendus au gré de leur maître. Ce sont ordinairement des prisonniers de guerre ou des enfans nés de ces prisonniers. Comme l’intérêt du possesseur est d’en augmenter le nombre, parce qu’ils