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dignité, cette assurance que donne la conscience d’une position acquise, d’un droit reconnu. Ils se sont astreints volontairement à payer la cotisation ; mais une fois l’obligation contractée, l’épargne est pour eux un devoir, et ne tarde pas à devenir une habitude. La solidarité qui unit tous les membres donne à chacun sur la conduite des autres un droit de contrôle également utile à exercer et à subir. Grâce à l’association, ils connaissent la douceur de porter sous le toit d’un ami des consolations et des secours. S’ils ont associé leurs enfans en même temps qu’eux, cette sollicitude paternelle contribue à resserrer les liens de la famille. Enfin les plus habiles et les plus recommandables sont appelés par l’élection à faire partie du conseil. Ils y apprennent comment la propriété naît du travail et de l’épargne ; ils y acquièrent la connaissance des hommes et des affaires. Ils y siègent souvent à côté de leurs patrons, et contractent avec eux des relations d’estime et de confiance réciproques. La manufacture cesse d’être à leurs yeux le champ de bataille où le travail et le capital se trouvent en présence. Cette bonne œuvre accomplie en commun éclaire tout le monde sur le vrai caractère d’une entreprise où chefs et travailleurs ont le même intérêt, avec des risques et des profits inégaux.

Les femmes sont exclues de la plupart des sociétés antérieures à 1852. Dans le recensement fait à cette époque, on ne trouva parmi les sociétaires que 26,181 femmes. En 1860, sur 472,855 membres participans, il y avait 402,885 hommes et 69,970 femmes. Quelquefois celles-ci sont admises dans des conditions d’infériorité. Dans une association rouennaise, leur cotisation est plus élevée que celle des hommes, et pourtant, en cas de maladie, elles n’ont droit qu’à la visite du médecin et aux remèdes, tandis que les hommes reçoivent une indemnité de chômage. La raison qu’on en donne, c’est qu’elles sont plus souvent malades. Il paraît en effet que les maladies des femmes sont plus fréquentes, mais la durée moyenne en est plus courte. Le rapport de la commission supérieure pour 1857 et 1858 constate que le nombre de journées payé a été relativement moins considérable pour les femmes que pour les hommes[1]. Ainsi le prétexte ne vaut rien. Pourquoi dans aucune association les femmes ne sont-elles employées à visiter les malades ? Sont-elles moins capables que les hommes de ces touchantes fonctions ? Ce n’était pas l’avis de saint Vincent de Paul.

Les femmes, se voyant repoussées, ont fondé entre elles des sociétés de secours mutuels qui s’administrent elles-mêmes et prospèrent sans aucune subvention. Ces sociétés étaient au nombre de

  1. En 1858, la moyenne des journées payées a été, pour chaque sociétaire homme, de 5,30 pour 100, et pour chaque sociétaire femme de 4,53 pour 100.