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le khan et traîtreusement assassiné. C’est dans la Kabarda que se recrute en majeure partie aujourd’hui le bataillon tcherkesse qui figure avec son costume national, si martial et si pittoresque, parmi les corps de la garde impériale à Pétersbourg.

Campés dans des plaines ouvertes où paissent de nombreux troupeaux, source unique, mais abondante, de leur richesse, exposés aux surprises les plus imprévues et à des coups qu’ils ne pouvaient parer, les Kabardiens ont dû céder souvent à des exigences contraires. C’est à cette situation intermédiaire qu’ils doivent ce mélange de mahométisme et de christianisme qui fait le fond de leur croyance. Contenus par la grande route stratégique qui traverse leur territoire, ils avaient en même temps à subir les menaçantes sollicitations et les réquisitions péremptoires de leurs voisins de la Tchetchenia et du Daghestan. Combien de fois, dans le cours des dernières hostilités, n’ont-ils pas vu leurs aoûls détruits et incendiés, leurs troupeaux enlevés tour à tour par les Russes et les montagnards, leurs femmes et leurs enfans traînés en esclavage par les murides de Schamyl ! Ce ne sont pas les seules causes de leur affaiblissement : en 1775, le général de Medem, dans sa marche vers le Daghestan contre l’outsmeï des Kara-Kaïtakh, extermina une partie de leur population. Les révoltes de 1804 et 1822 et la peste ont aussi diminué leur nombre, qui s’est encore amoindri en 1851 par l’émigration ; une fraction d’entre eux, gagnée par Mohammed-Emin, d’abord simple pâtre, devenu par la suite l’agent actif et habile de Schamyl dans le Caucase occidental, a quitté la contrée qui s’étend entre le Maroukh et l’Ouroup, affluens gauches du Kouban, et elle est allée dans les hautes terres se fondre parmi les Abadzas.

Jadis ils pouvaient mettre en campagne jusqu’à quinze mille cavaliers nobles, tous couverts de cottes de mailles et armés d’un arc avec cinquante flèches, du schaschka (sabre) et d’un pistolet. Chaque cavalier, d’après l’usage tcherkesse, avait à ses côtés un compagnon appartenant à la noblesse inférieure, équipé de la même manière, sauf quelquefois la cotte de mailles. Ce compagnon, comme les écuyers de nos chevaliers au moyen âge, devait suivre partout son seigneur, le défendre et mourir, s’il le fallait, pour lui ou avec lui, sous peine d’un déshonneur éternel. C’était donc une armée de trente mille cavaliers, parfaitement armés et montés, braves à toute épreuve. Les vieillards chez les Cosaques de la ligne se souviennent d’avoir vu cette troupe s’avançant en bon ordre, les armes étincelantes aux rayons du soleil. Les Kabardiens peuvent être considérés comme définitivement acquis à la Russie depuis que la soumission récente du flanc gauche leur a ôté tout prétexte à des sympathies secrètes pour Schamyl ou à un entraînement forcé vers l’imâm. Répartis entre quatre familles princières, ils composent une population