Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/958

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur l’Europe. Sous le règne de Justinieh, les Zikhes avaient recouvré, à ce qu’il paraît, leur liberté, puisque la limite des possessions de ce prince s’arrêtait au pays des Abasges, sur les confins des Zikhes, au sud. Quatre siècles s’étaient à peine écoulés que les Tcherkesses avaient en face d’eux un nouvel ennemi bien autrement redoutable que les précédens : les Russes apparaissaient pour la première fois dans le Caucase. Dans les accroissemens territoriaux de la Russie, on voit qu’une des lois que lui crée sa position géographique l’entraîne, par une nécessité irrésistible, vers le bassin de la Mer-Noire, et cette loi, à laquelle elle n’a jamais cessé d’obéir, se manifeste avec la même énergie au début de son histoire. À peine a-t-elle accepté la tutelle des conquérans varègues, arrivés par mer de la péninsule Scandinave, et intronisé la dynastie de Rurik, qu’une juvénile ardeur l’emporte vers la ville impériale, Tsar-Grad (Constantinople), vers la Chersonèse taurique et le Caucase.

C’est par le Dnieper, le grand chemin de la Grèce, que descendaient ses flottes pour aller porter le ravage et la désolation sur les rivages de l’Euxin, alors nommé la mer des Russes, tandis que ses armées descendaient par la Thrace jusqu’au pied des murailles de la capitale des césars. En 966, Sviatoslav, fils d’Igor et petit-fils de Rurik, après avoir enlevé aux Khazares Biélavej, ville forte sur le Don, alla faire la guerre dans le Caucase aux Iasses ou Alains et aux Kassogues[1]. En 1022, le grand prince Vladimir étant mort, ses douze fils se partagèrent ses états, et l’un d’eux, Mstislav, ayant aidé l’empereur Basile II à détruire la puissance des Khazares en Crimée, continua sa marche vers l’est. À la tête de ses Slavo-Russes, il passa dans la presqu’île de Taman, et attaqua les Kassogues. Le vieil annaliste Nestor raconte, dans son rude et naïf langage, que Rédédia, chef des Kassogues, proposa à Mstislav un duel corps à corps, au pugilat. Les conditions étaient que le vaincu livrerait ses trésors, ses femmes, ses enfans et ses peuples. Le prince russe y consentit, quoique beaucoup moins vigoureux ; mais dans la lutte, ayant fait vœu d’élever une église à la « Mère de Dieu, » il terrassa son adversaire, et lui plongea son couteau dans le cœur[2]. Mstislav réduisit ensuite les lasses, sujets de Rédédia, et les força à lui payer tribut[3]. Le siège de sa principauté fut Tmoutarakan dans la presqu’île

  1. Karamzin, Histoire de Russie, ch. VII, t. Ier, p. 173, et annotations, t. Ier, n° 387 et 388, sixième édition, Saint-Pétersbourg 1851.
  2. Texte ancien de Nestor, dans la Collection complète des chroniques russes, publiée par la commission archéographique, t. Ier, p. 63, Saint-Pétersbourg 1846, et dans l’édition de M. Miklosisch, t. Ier, p. 90, Vienne 1860. Le recueil des Chroniques russes, en y joignant celui des autres anciens documens édités par ordre du gouvernement impérial, forme un ensemble qui est aujourd’hui de 52 vol. in-4o.
  3. Stcherbatof, Histoire de Russie, t. Ier, p. 225 et 308.