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vu ; mais ce que vous faites, ce n’est rien du tout qu’une promenade bonne pour la santé. La guerre ! vous en parlez à votre aise. Où sont les gens que vous avez pendus ? Où sont les femmes que vous avez violées ? Où sont les villes que vous avez incendiées et pillées ? Où sont vos lois martiales ? Où sont vos gibets ? C’est tout au plus si vous avez des fusils. Tenez, laissez-moi en repos avec votre guerre, car, sans le respect que je vous dois, je vous dirais que vous n’y entendez rien. » Et, hochant la tête avec un mouvement de mauvaise humeur, le vieux bourrelier reprit son travail. Une femme passait, portant un panier de belles figues vertes où brillaient des perles transparentes ; je l’appelai et lui achetai ses fruits. Le bourrelier se mit à jurer avec fureur : « Ça paie, et ça dit que ça fait la guerre ! s’écria-t-il. Par le péché du vendredi ! ils sont fous, tous ces gens-là ! » Je le quittai en riant, et je m’en allai stimuler le zèle de nos charrons.

Le paysage reprend une grande vigueur après Lauria, mais une vigueur toute septentrionale ; la flore de la France domine, les chênes sont nombreux et les trembles aussi ; quelques châtaigniers apparaissent çà et là, abritant des bruyères fleuries ; les torrens abondent, jaillissant du haut de la montagne, poussant vers la vallée leurs belles eaux limpides, qui bondissent par-dessus les rochers arrondis et nous envoient au visage la rosée de leur écume ; des ponts les traversent, et quels ponts ! en bois, disjoints, tremblans ; je ne sais quelle providence amie des voyageurs les tient en équilibre, car, à les voir, on croirait qu’un coup de pied peut les jeter par terre. Taillée aux flancs des monts, la route ne circule pas, elle se coupe incessamment à angle aigu, comme ces foudres en zigzag que les peintres mettent dans leurs tableaux d’orages. Nous y rencontrons, à quelques lieues de Lauria, une magnifique cascade qui moutonne en ressauts blanchissans, et qui n’est autre que la source du fleuve Trecchena, qu’on nomme aussi le Noce. À un détour du chemin, Lagonegro débusque tout à coup, debout sur une colline, avec sa grande