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les insurgés à la peine de mort ; ils écoutèrent leur arrêt sans protester et se donnèrent le baiser fraternel de ceux qui vont mourir. Ils furent chargés de fers et mis en chapelle ; à des prêtres qui vinrent pour les exhorter, Attilio Bandiera répondit avec douceur : « Nous avons pratiqué la loi de l’Évangile, nous avons cherché au prix de notre sang à la répandre parmi les enfans du Christ : Dieu tiendra plus compte de nos mérites que de vos paroles ; réservez-les, vos paroles, pour apprendre à nos frères opprimés la religion du Christ, qui est la religion de la liberté et de l’égalité. » Dominique Lupatelli, nature vive et joviale, disait aux soldats : « Chargez-bien vos fusils, car j’ai la peau dure ; après la première décharge, je suis capable de sauter encore en criant : Vive l’Italie ! » lugubre plaisanterie qui devait être une prédiction. Joseph Pacchioni faisait le portrait de ses compagnons. J’ai vu ces portraits que conserve un employé supérieur de la prison ; le dessin en est ferme, la main n’a pas tremblé. Le 25 juillet 1844, au matin, pendant que toutes les églises de Cosenza sonnaient pour les trépassés, les frères Bandiera et sept de leurs compagnons se mirent en marche. — La grâce royale avait commué la peine des autres condamnés en celle des galères à, perpétuité. — Ils sortirent de la prison, vêtus d’un drap noir et la tête voilée ; au milieu des soldats qui les conduisaient tenant leurs chaînes en main, ils chantaient en chœur :

Chi per la patria muore
Ha già vissuto assai.

Ils arrivèrent au lieu du supplice. On commanda le feu ; pris de pitié et le cœur ému, les soldats hésitèrent. Les condamnés eux-mêmes leur crièrent de tirer. Le feu éclata ; il fallut achever Attilio, qui longtemps se débattit. Ainsi qu’il l’avait, prédit la veille, Lupatelli se redressa après la décharge, courut en trois bonds vers les soldats en criant vive l’Italie ! On lui brûla la cervelle à bout portant. Puis on creusa une fosse, où ils furent tous jetés, auprès de la petite église Santa-Maria, hors des murs de la ville. Je visitai l’endroit où la terre a bu leur sang. C’est un petit champ abrité par des oliviers ; des croix noires fichées dans le sol indiquent la place où ces jeunes hommes sont tombés ; près de là s’élève une chapelle basse, et dont le toit en tuiles rouges surmonte à peine la verdure des arbres. Le vent agitait l’ombre sur l’herbe épaisse, et des mouches dorées jouaient dans un rayon de soleil.

Cosenza, avec ses rues nombreuses et ses maisons à plusieurs étages, offre l’animation d’une capitale de province, capitale mal fournie du reste des objets qui ne sont pas d’une nécessité absolue, car, ayant perdu ma carte d’Italie, il me fut impossible de m’en