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deviendra, dans ce désert d’hommes, ce pauvre être sans force, sans expérience, sans ressources ? C’est pour lui que s’élèvent les pensions d’apprentis calquées, comme à Nancy, sur la maison paternelle. C’est une belle et fière institution que cette maison de Nancy, qui a tout fait par elle-même, et qui a dédaigné de demander des secours, même à l’état. L’enfant y trouve une nourriture grossière, mais saine, un bon dortoir, des vêtemens suffisans, une surveillance attentive, sans dureté et sans minutie, et, ce qui vaut mieux que tout le reste, des maîtres qui savent l’aimer et qu’il peut aimer. Quand il retourne le soir de l’atelier à l’école, il a presque le droit de se dire qu’il rentre chez lui. Un patronage est encore plus nécessaire pour les filles : auprès de Lyon, on n’a fait que des pensionnats sévères, moitié ateliers, moitié prisons ; la charité a été mieux inspirée à Mulhouse. Un très modeste couvent catholique reçoit à bas prix les jeunes ouvrières, leur donne le coucher et la nourriture, et les laisse libres de travailler dans les ateliers de la ville. Quelques ouvrières restent indéfiniment dans cette maison, qui leur laisse la faculté, après le rude travail de la journée, de se distraire d’une façon décente ; d’autres y descendent seulement, comme elles descendraient chez des amies, pendant le temps nécessaire pour trouver, avec l’aide des sœurs, une famille honnête qui consente à les recevoir ; d’autres enfin, qui ne veulent pas loger en garni, restent au couvent jusqu’à ce qu’elles aient réuni les deux ou trois meubles les plus indispensables : la supérieure garde leurs économies, et leur vend elle-même pièce par pièce le lit sur lequel elles couchent. La société n’est pas moins douce et moins prévoyante pour les infirmes et les vieillards que pour les enfans. Quand arrivent la maladie et la vieillesse, tristes hôtes pour le pauvre et l’abandonné, l’ouvrier trouve dans les hospices un asile convenable, dans les hôpitaux des soins et des remèdes que les riches eux-mêmes ont peine à se procurer avec autant d’abondance.

Certes on ne saurait travailler avec trop de zèle à perfectionner et à répandre ces institutions. La bienfaisance a beau être active, elle va moins vite que le mal[1]. Quand on regarde l’ensemble des secours distribués par les bureaux de bienfaisance dans la France entière, on est frappé à la fois de l’immensité de l’effort et de la nullité du résultat. On secourt quelques malheureux, mais on ne

  1. A Paris, où l’assistance publique a 20,912 enfans à sa charge, 7,172 lits dans ses hôpitaux, 10,642 lits dans ses hospices ce sont les chiffres de 1860, qui seront nécessairement dépassés par suite de l’agrandissement de Paris, il s’en faut bien qu’elle suffise à tous les besoins. Les médecins sont obligés, faute de place, d’arrêter les malades sur le seuil de l’hôpital ; la succession d’un lit dans un hospice est attendue par des centaines de misérables. On voudrait voir transporter dans cette grande ville et dans chaque ville de fabrique l’école d’apprentissage de Nancy et le petit couvent de Mulhouse, qui fait si doucement et si modestement tant de bien.