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À un détour du chemin, Catanzaro nous apparut, rose sous le soleil, et tout en haut de la montagne dont elle couronne le plateau. Des restes de fortifications la précèdent, fortifications inutiles aujourd’hui, qui datent sans doute du IXe siècle, époque où la ville fut fondée, et qui nous montrent aux merlons de leurs créneaux de longues et étroites embrasures propres au déploiement de l’arc. Sur la route extrêmement escarpée qui avoisine Catanzaro, des gardes civiques réunis nous présentent les armes et se joignent à nous. Dans les rues, les hommes s’entassent, les femmes, folles de joie, agitent leurs mouchoirs, nous jettent des fleurs et des bénédictions ; les enfans courent, des vieillards levant leurs mains tremblantes s’écrient : « Enfin, vous voilà ! » Nous sommes obligés d’aller au pas pour éviter les accidens, car on se précipite avec une frénésie qui épouvante nos chevaux. La ville entière nous acclame ; ce n’est qu’un cri de bonheur, ce n’est qu’un battement de mains. Toute la population est là, quinze mille personnes dont le cœur frémit à l’unisson. Notre musique s’avance, jouant ses marches les plus retentissantes. Ces fanfares, ce bruit d’une foule en ivresse, la vue de ce peuple exalté par la première heure de liberté, me remuèrent jusqu’au plus profond des entrailles ; un flot monta de mon cœur à mes yeux, j’éclatai en pleurs. Je sentis dans ma conscience s’imprimer la consécration de notre cause. Tout un peuple nous criait : « Ce que vous faites est juste ! » et là, dans ce pays ignoré, sous un soleil tropical, au milieu de cette foule éperdue, en présence de nos soldats qui défilaient parmi les ovations, j’eus un instant de joie désintéressée que je n’oublierai jamais.

Pas plus que de Marcellinara je n’ai à parler de Catanzaro, car là aussi je restai couché. Cependant le lendemain de notre arrivée je montai en voiture, et je fis le tour de la ville. Deux fleuves, l’un ’Alli, l’autre qu’on nomme simplement la Fiumarella, se réunissent au pied de la montagne où cette ville de Catanzaro est bâtie. Le lit de ces rivières, large et aride, est parsemé de petites îles de verdure. Jusqu’à la mer, de belles collines, qu’on aperçoit du sommet à la base comme sur une carte en relief, continuent le paysage en ondulations successives qui finissent par mourir au rivage, là même où Annibal avait construit un camp retranché, quand ses revers le forcèrent à se retirer chez les Brutiens. Sur ces collines, les arbres sont rares : avec leurs chaumes et leurs champs en friche, elles paraissent vêtues d’une couverture fauve, tachetée de brun, qui ressemble à la peau des léopards ; mais la ville elle-même est entourée d’oliviers, de mûriers et de haies magnifiques où les grenadiers s’inclinent sous le poids de leurs fruits. Au-delà du ravin où devrait couler l’Alli s’élève un grand couvent de capucins que précède une