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demandé l’arbitrage de frère Brigham ou de frère Kimball. Ils n’ont de confiance que dans leur code, imité de la loi mosaïque et fait pour frapper les intelligences grossières, parce qu’il prononce la peine du talion pour tous les crimes et les délits : œil pour œil et dent pour dent ! M. Remy met tous les torts sur le compte des officiers fédéraux envoyés dans le territoire d’Utah par le président des États-Unis ; il les accuse d’avoir été sans exception des joueurs et des débauchés, exaspérés contre les mormons, parce que les vertus des saints condamnaient leurs propres vices. Cela peut être vrai pour quelques-uns, ou même pour la plupart des magistrats fédéraux du territoire d’Utah ; mais le fait que tous les fonctionnaires américains récemment nommés se sont trouvés en lutte avec les mormons témoigne de la haine violente de ceux-ci contre l’Union. C’est à la suite d’un long conflit de juridiction entre Brigham Young et les représentans du gouvernement de Washington que le territoire d’Utah fut envahi par les troupes fédérales en 1857 et 1858. Le prophète pouvait écraser l’armée américaine ; mais il comprit sans doute le danger d’une pareille victoire, car il se préparait à un nouvel exode, et pour toute vengeance il se serait contenté de brûler ses villes derrière lui.

Les mormons n’ont jamais eu à se louer des gentils, et les gentils qui traversent le territoire d’Utah sans lettres de recommandation n’ont pas davantage à se louer des saints : une franche haine existe entre ceux-ci et les communautés américaines qui les entourent. Les mormons parlent des « Égyptiens » avec autant de dégoût que leurs ancêtres spirituels, les Juifs, parlaient autrefois des Iduméens et des Moabites. Lorsque les mormons n’avaient pas encore de vignes, ils refusaient avec horreur d’employer pour leur communion le vin des gentils ; les évêques préféraient puiser dans un seau d’eau et distribuer à la ronde ce qu’ils appelaient le sang de Jésus-Christ. En toutes choses, ils montrent leur profonde aversion contre les Américains, et dans leurs mystères sacrés ils jurent, dit-on, une haine impérissable à la grande république. Cette haine des mormons contre les gentils se donnera-t-elle libre carrière, et la tribu des « anges exterminateurs » dont on a tant parlé saisira-t-elle enfin le glaive pour venger la mort de Joseph et de Hyrum Smith, les persécutions, les famines et toutes les souffrances du terrible exode ? Le fait est que les mormons possèdent des armes, qu’ils apprennent à s’en servir, et qu’une fois par semaine ils se réunissent pour faire des évolutions d’ensemble et s’exercer à la petite guerre. Tout fidèle de Deseret est soldat, et soldat excellent, puisqu’il obéit avec enthousiasme, donne sans réserve à ses chefs son âme et son corps, et voit dans sa mort le commencement des voluptés infinies du ciel.

Fiers d’avoir dépassé par leur succès immense le succès de tous