Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/905

Cette page a été validée par deux contributeurs.

L’avilissement est profond, et cependant tous les voyageurs sérieux affirment que la plupart des femmes mormones semblent complètement réconciliées avec leur sort, et prennent joyeusement leur place dans le harem du mari polygame. C’est que les fondateurs du mormonisme, vivant dans les états libres du nord, où les principes républicains puisent toute leur force au sein même des familles, savaient bien que, pour faire triompher la polygamie, il fallait avant tout en demander la sanction aux femmes elles-mêmes. Par mauvaise conscience, les hommes seuls n’eussent osé préconiser cette doctrine immonde ; mais les femmes, une fois converties, pouvaient lui donner l’appui de leur fanatisme entraînant. Aucune institution n’est assurée du succès si la partie féminine de la société ne lui est vraiment dévouée. Par leur douce et lente influence sur les hommes, par leur autorité sur les enfans, les femmes ont en leur pouvoir les destinées des religions et des empires. Pour fonder une théocratie capable d’asservir irrévocablement toutes les consciences, il fallait donc commencer par asservir les femmes et les rendre fières de leur condition subalterne. C’est à cette œuvre que se sont appliqués les prophètes mormons avec une grande habileté et une profonde connaissance de la nature humaine. Ils ont réussi, et maintenant les femmes des mormons aident à leur propre avilissement et préfèrent les joies du harem à celles de l’amour et de la liberté. Leur fanatisme est tel qu’elles épousent en général les vieillards polygames plus volontiers que les jeunes célibataires comme il s’en rencontre encore beaucoup en Utah. Cela se comprend : la gloire des saints se mesure ici-bas et dans le ciel au nombre de leurs femmes. La jeune fille ambitieuse de s’asseoir au paradis sur un trône élevé doit donc rechercher de préférence le patriarche auquel sa grande famille assure une gloire immortelle. Il est encore une autre raison qui doit l’attirer vers le vieux polygame : l’apostasie de ce pacha est beaucoup moins à craindre que celle d’un jeune homme qui, pendant de longues années, est exposé à toutes les tentations de ce monde. Lorsque le vieux mari termine dans la paix sa longue existence, les jeunes femmes qui ont eu le bonheur d’avoir été unies à son sort peuvent mêler à leurs regrets la douce assurance d’avoir fait leur salut. Puis il y a dans cette vie polygynique je ne sais quel attrait grossier fait pour séduire certaines femmes. « Plus on est d’épouses, plus on rit (the more, the merrier), » disait une demoiselle à M. Jules Remy.

À propos de la polygamie des mormons, le mot de communauté des femmes a été prononcé, mais à tort. Bien au contraire, les saints des derniers jours sont extrêmement stricts sur leurs droits de maîtres souverains et exclusifs. Maris de plusieurs femmes qu’ils