Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/903

Cette page a été validée par deux contributeurs.

les rites symboliques, on les renouvelle sans cesse, on en fait la condition absolue du salut ; de toutes parts ce ne sont que symboles matériels, l’esprit ne peut se reposer sur rien. Ainsi tous ceux qui ont commis une faute doivent se faire baptiser de nouveau, à moins de perdre leur qualité de saints : sans l’immersion du pécheur, le péché ne saurait être effacé. Cette nécessité matérielle du baptême régénérateur existe aussi bien pour les morts que pour les vivans. Tout homme décédé en état de transgression ne peut être sauvé que si l’un de ses amis terrestres se fait purifier à sa place par les eaux lustrales ; de même on peut se marier pour le compte d’un mort et lui engendrer une famille destinée à augmenter dans l’éternité la gloire céleste du défunt.

Telle religion, telle morale : les mormons ne sont pas moins vulgaires et grossiers dans leurs idées sur le mariage que dans leur doctrine sur les dieux et la destinée future. Au milieu d’une société où la femme est plus respectée et plus libre qu’en aucun pays du monde, les mormons ont proclamé la polygamie et l’asservissement de la femme, qui en est la conséquence inévitable ; cependant ce dogme de leur religion était si bien fait pour choquer le peuple américain que Joseph Smith, après en avoir reçu la révélation divine le 12 juin 1843, la confia seulement à ses disciples les plus intimes ; Brigham Young n’osa la publier qu’en septembre 1852, lorsqu’il comptait déjà trente mille fidèles dans le territoire d’Utah et qu’il était de force à résister à une invasion de troupes fédérales. Il est hors de doute que le fondateur du mormonisme obéissait à de secrètes convoitises peu dignes d’un saint lorsqu’il institua la polygamie ; mais cette pratique avilissante s’accorde parfaitement avec l’antique matérialisme juif restauré par les mormons : c’est le couronnement nécessaire de l’édifice élevé par les régénérateurs du monde, les saints des derniers jours.

En effet, ces hommes pour lesquels « la joie est le but suprême de la vie, » qui tous aspirent à devenir des « dieux égoïstes » comme le grand Dieu qui gouverne le monde, voient dans la fortune et le pouvoir le signe évident de la bénédiction d’en haut ; plus un mormon est riche, et plus il se rapproche de la Divinité, plus il monte dans la hiérarchie des élus. En Amérique, où la population ne suffit pas encore à la terre qu’elle cultive, que sont les enfans et les femmes, sinon une richesse de plus ? Les enfans sont de rudes travailleurs qui, jusqu’à un certain âge, donnent tous leurs efforts en échange de la nourriture ; les femmes sont des domestiques zélées qui tiennent en ordre la demeure, y introduisent le confort, vaquent à toutes les jouissances matérielles de leurs maris et maîtres, transforment la pauvreté en aisance, l’aisance en richesse, à force