Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/900

Cette page a été validée par deux contributeurs.

un temps d’épreuve plus ou moins long, en un esprit ou nébuleuse d’éther. Après ce noviciat, les méchans recommenceront leur carrière, les bons, qui auront mérité le bonheur du paradis, revêtiront un corps immortel et deviendront des dieux semblables à Dieu le père et à Jésus-Christ. Ils célébreront des fêtes somptueuses ; assis à des tables splendides, ils mangeront l’ambroisie, boiront le nectar, et leurs femmes se transformeront en déesses d’une incorruptible beauté.

Une pareille doctrine donne une éclatante sanction à l’égoïsme le plus absolu. Le saint des derniers jours est assuré de posséder dans les demeures célestes richesses, pouvoir, honneurs, plaisirs, voluptés, surtout quand il a eu le bon esprit de se faire nommer prêtre ici-bas. Prince temporel et spirituel sur la terre, le dignitaire mormon restera prince dans les régions célestes ; il jouira sans cesse par tous ses sens et toutes ses facultés, il savourera tous les plaisirs du corps et de l’âme ; sa fortune, décuplée par les intérêts composés, le suivra au-delà du tombeau. Aussi les fidèles qui ont dans l’âme quelque ambition ne négligent aucun moyen de parvenir ; en obéissant avec servilité et en payant religieusement leurs dîmes, ils conquièrent les titres d’anges et de dieux que la doctrine accorde dès aujourd’hui aux princes de l’église. Et ces ambitions immorales n’existent pas seulement au fond des cœurs, elles s’affichent impudiquement dans les livres des saints : « L’homme n’existe que pour avoir de la joie, » dit un apôtre. Et le Dieu des mormons ressemble à ses fils, car « il est le plus égoïste des êtres vivans ! » Telle est l’effrayante définition qu’un autre apôtre nous donne du souverain parfait.

Le gouvernement des saints est institué sur le même modèle que le gouvernement des dieux du ciel ; il est purement théocratique. Le pape Brigham Young, « sacré selon l’ordre de Melchisédech, » est tout à la fois prophète, révélateur et voyant ; comme président de l’église, il réunit en ses mains plus de pouvoir qu’aucun autre souverain du monde : il est à la fois maître des corps et des âmes ; en sa présence même, les orateurs mormons ne craignent pas de l’appeler un dieu sur la terre. Pour compléter la trinité, il s’est adjoint le vice-président Kimball et le conseiller Wells. Le grand-patriarche se place immédiatement après les triumvirs, puis viennent successivement les douze apôtres, les grands-prêtres, qui sont au nombre de quatre mille environ, les évêques distribués par groupes de septante, les anciens ou elders. Tous ces dignitaires appartiennent à l’ordre de Melchisédech, tandis que les catéchistes et les diacres subissent une sorte de noviciat connu sous le nom d’ordre d’Aaron ; ce sont les nouveaux convertis ; ils forment la masse