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enfans sont aussi nombreux que les grains de sable de la mer. Il mange comme les hommes, il aspire avec joie l’odeur des sacrifices sanglans, et lorsque le temple de la Nouvelle-Jérusalem sera bâti, on y égorgera pour lui plaire des bœufs et d’innombrables agneaux. Le père, l’aïeul et tous les ancêtres de Dieu, ses frères et ses cousins sont aussi puissans que lui ; mais nous ne leur devons ni amour, ni respect, car notre monde n’est pas commis à leur protection, ils gouvernent des planètes ou des systèmes solaires éloignés du nôtre. Ils ont aussi des corps semblables aux nôtres, ils mangent, boivent, peuplent leurs sérails, et, comme les dieux d’Homère, se laissent souvent entraîner à de condamnables écarts. Jésus-Christ est un fils de Dieu comme nous tous ; il nous donne aussi l’exemple du plaisir : déjà, sur la terre, il s’est marié aux noces de Cana à Marthe, à Marie, sœur de Lazare, et « à l’autre Marie qu’il aimait tant ; » mais il a dans le ciel adjoint un grand nombre de compagnes à ses épouses terrestres, et se promène avec ses femmes sur les nuages et l’azur, guidant un char traîné par des chevaux blancs. Satan est également un dieu, et les mormons lui donnent presque le beau rôle dans sa lutte avec Jésus-Christ : il voulait offrir à tous les pécheurs sans restriction le salut éternel, tandis que Jésus-Christ ne cherchait à sauver que les repentans. Une discussion s’engagea devant le trône de Dieu, et Lucifer fut maudit et exilé pour avoir aimé les hommes d’un amour trop irréfléchi. Satan, devenu démon, n’en est pas moins un gentleman ; les tentations vulgaires sont le fait des diables de second ordre et des diablotins infimes. Seul entre tous les êtres supérieurs, le Saint-Esprit n’a pas de corps organisé ; il se compose de particules matérielles en nombre infini : c’est l’océan d’éther qui environne toutes choses, qui se condense pour former tous les corps, depuis le minéral et la plante jusqu’aux nébuleuses et aux astres, qui pénètre dans les pores les plus cachés aussi bien qu’aux espaces les plus reculés de l’infranchissable univers.

Tous les hommes sont les fils de Dieu le père, ainsi nommé à juste titre, puisqu’il est le grand géniteur. Nous sommes nés dans son sérail, nous avons été bercés par ses femmes, nous avons savouré le nectar céleste ; puis, comme le papillon, nous avons perdu nos ailes divines, et maintenant nous sommes des larves que nous traînons péniblement sur la terre ; mais nous avons encore un vague souvenir des splendeurs d’en haut, nous voyons en rêve les rayonnemens du paradis, nous entendons l’écho lointain des harpes célestes, et nos mélancolies, incomprises de nous-mêmes, ne sont autre chose que le regret de notre ancienne patrie. À notre mort, toutes les molécules matérielles qui composent notre âme et notre corps se dégageront des liens de l’organisme et se changeront, pendant