Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/884

Cette page n’a pas encore été corrigée

à assister au mariage d’Obernay à Genève, à être présenté par conséquent à M. de Valvèdre.

J’étais si éloigné de ce dernier parti que quand Alida m’eut quitté, je faillis courir après elle pour reprendre ma parole ; mais je fus retenu par la crainte de lui sembler égoïste. Je ne pouvais la revoir qu’à ce prix, à moins de risquer à chaque rencontre de la brouiller avec son mari, avec l’opinion, avec la société tout entière. Je continuai mon voyage ; mais, au lieu de parcourir les montagnes, je pris le plus court pour me rendre à Altorf, et j’y restai. C’est là qu’ Alida devait m’adresser ses lettres. Et que m’importait tout le reste ? Nous nous écrivîmes tous les jours, et l’on peut dire toute la journée, car nous échangeâmes en une quinzaine des volumes d’effusion et d’enthousiasme. Jamais je n’avais trouvé en moi une telle abondance d’émotion devant une feuille de papier. Ses lettres, à elle, étaient ravissantes. Parler l’amour, écrire l’amour, étaient en elle des facultés souveraines. Bien supérieure à moi sous ce rapport, elle avait la touchante simplicité de ne pas s’en apercevoir, de le nier, de m’admirer et de me le dire. Cela me perdait ; tout en m’élevant au diapason de ses théories de sentiment, elle travaillait à me persuader que j’étais une grande âme, un grand esprit, un oiseau du ciel dont les ailes n’avaient qu’à s’étendre pour planer sur son siècle et sur la postérité. Je ne le croyais pas, non ! grâce à Dieu, je me préservais de la folie ; mais sous la plume de cette femme la flatterie était si douce que je l’eusse payée au prix de la risée publique, et que je ne comprenais plus le moyen de m’en passer.

Elle réussit également à détruire toutes mes révoltes relativement au plan de vie qu’elle avait adopté pour nous deux. Je consentais à voir son mari, et j’attendais avec impatience le moment de me rendre à Genève. Enfin ce mois de fièvre et de vertige, qui était le terme de mes aspirations les plus ardentes, touchait à son dernier jour.

George Sand.

(La quatrième partie au prochain n°.)