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et d’un garni, leur condition est vraiment cruelle ; tout change si, en revenant le soir, ils sont sûrs de retrouver au logis des cœurs aimans, des soins attentifs, ce bonheur sérieux et solide que seule la famille peut donner, et dont rien ne compense la privation. Ce retour aux habitudes et aux vertus domestiques est le rêve de tous ceux qui aiment les ouvriers ; mais comment le réaliser ? comment lutter contre l’influence des manufactures, qui ne cessent d’enrégimenter les enfans et les femmes ? Le nombre croissant des manufactures est la principale cause de la destruction de la vie de famille. Elles contribuent de deux façons à produire ce triste résultat : en employant la plupart des femmes dans des ateliers où elles sont retenues tout le jour loin de leur ménage et de leurs enfans, et en rendant pour les autres le travail isolé absolument improductif, ce qui les pousse à chercher des ressources dans l’inconduite. Telle est la situation que nous avons cherché à décrire dans les études précédentes ; il ne nous reste plus qu’à montrer ce qui a été fait, ce qui peut se faire encore pour la changer.

Si l’on demande à la nature même du mal l’indication des remèdes, en voici trois qui ont été proposés ou essayés : interdire aux femmes l’entrée des manufactures, relever leurs salaires dans la petite industrie pour qu’elles renoncent d’elles-mêmes au travail des grands ateliers, favoriser directement la conclusion des mariages.

C’est un économiste célèbre, qui, à la suite d’une enquête où il avait vu de près la situation des ménages d’ouvriers, proposa d’interdire absolument le travail des femmes dans les manufactures. Il est à peine nécessaire de dire qu’une loi de ce genre serait aussi injuste qu’impraticable. Personne ne peut songer sérieusement à priver par une loi les fabriques françaises de la moitié des bras dont elles disposent et à rejeter brusquement cette masse d’ouvrières sur les travaux de couture, lorsqu’il est avéré que la petite industrie ne nourrit même plus aujourd’hui son personnel. Comment s’y prendrait le législateur pour ôter aux femmes le droit de vivre en travaillant, et pour ajouter à leur faiblesse naturelle une incapacité légale ? Il faut laisser aux communistes de toutes les écoles ces prétendus remèdes, qui sont des attentats à la liberté, et qui ne savent combattre un mal que par des règlemens et des prohibitions.

L’espoir de ramener les femmes au travail isolé en ouvrant à leur industrie des débouchés nouveaux n’est pas aussi chimérique. Il est possible de leur venir en aide de ce côté, et c’est un devoir qui appartient naturellement aux chambres de commerce et aux sociétés industrielles. Toutefois il ne faut pas se faire d’illusions : les femmes