Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/862

Cette page n’a pas encore été corrigée

terroger Obernay sur son compte. Depuis que j’aimais Alida, j’aurais voulu oublier l’existence de son mari. D’après le peu de mots que, malgré moi, j’avais été forcé d’entendre, je me représentais un homme froid, très digne et assez railleur. Selon Alida, c’était le type des intentions généreuses avec le secret dédain des consciences imbues de leur supériorité.

Qu’il fût paternel ou blessant dans sa bienveillance, j’étais bien assez malheureux sans avoir encore la honte et le remords de trahir un homme qu’il m’eut peut-être fallu estimer et respecter en dépit de moi-même. Je résolus de ne pas l’attendre ; mais Alida me trouva lâche et m’ordonna de rester. — Vous m’exposez à d’étranges soupçons de sa part, me dit-elle. Que va-t-il penser d’un jeune homme qui, après avoir accepté le soin de me protéger dans mon isolement, s’enfuit comme un coupable à son approche ? Obernay et Paule seront également frappés de cette conduite, et n’auront pas plus que moi une bonne raison à donner pour l’expliquer. Comment ! vous n’avez pas prévu qu’en aimant une femme mariée vous contractiez l’obligation d’affronter tranquillement la rencontre de son mari, que vous me deviez de savoir souffrir pour moi, qui vais souffrir pour vous cent fois plus ? Songez donc au rôle de la femme en pareille circonstance : s’il y a lieu à feindre et à mentir, c’est sur elle seule que tombe tout le poids de cette odieuse nécessité. Il suffit à son complice de paraître calme et de ne commettre aucune imprudence ; mais elle qui risque tout, son honneur, son repos et sa vie, elle doit tendre toutes les forces de sa volonté pour empêcher le soupçon de naître. Croyez-moi, pour celle qui n’aime pas le mensonge, c’est là un véritable supplice, et pourtant je vais le subir, et je n’ai pas seulement songé à vous en parler. Je ne vous ai pas demandé de m’en plaindre, je ne vous ai pas reproché de m’y avoir exposée. Et vous, à l’approche du danger qui me menace, vous m’abandonnez en disant : Je ne sais pas feindre, je suis trop fier pour me soumettre à cette humiliation ! Et vous prétendez que vous m’aimez, que vous voudriez trouver quelque terrible occasion de me le prouver, de me forcer à y croire ! En voici une prévue, banale, vulgaire et facile entre toutes, et vous fuyez !

Elle avait raison. Je restai. La destinée, qui me poussait à ma perte, parut venir à mon secours. Obernay revint seul. Il apportait à Mlle  de Valvèdre une lettre de son mari, qu’elle me montra, et qui contenait à peu près ceci :

« Mon amie, ne m’en veuillez pas de m’être encore laissé tenter par les cimes. On n’y périt pas toujours, puisque m’en voilà revenu sain et sauf. Obernay m’a dit la cause de votre excursion dans ces