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on la rencontre partout ; si elle est absolue, on ne peut pas ne pas la rencontrer. C’est pourquoi, malgré l’étroitesse de notre expérience, la métaphysique, j’entends la recherche des premières causes, est possible, à la condition que l’on reste à une grande hauteur, que l’on ne descende point dans le détail, que l’on considère seulement les élémens les plus simples de l’être et les tendances les plus générales de la nature. Si quelqu’un recueillait les trois ou quatre grandes idées où aboutissent nos sciences, et les trois ou quatre genres d’existence qui résument notre univers, s’il comparait ces deux étranges quantités qu’on nomme la durée et l’étendue, ces principales formes ou déterminations de la quantité qu’on appelle les lois physiques, les types chimiques et les espèces vivantes, et cette merveilleuse puissance représentative qui est l’esprit, et qui, sans tomber dans la quantité, reproduit les deux autres et elle-même ; s’il découvrait entre ces trois termes, la quantité pure, la quantité déterminée et la quantité supprimée, un ordre tel que la première appelât la seconde, et la seconde la troisième ; s’il établissait ainsi que la quantité pure est le commencement nécessaire de la nature, et que la pensée est le terme extrême auquel la nature est tout entière suspendue ; si ensuite, isolant les élémens de ces données, il montrait qu’ils doivent se combiner comme ils sont combinés, et non autrement ; s’il prouvait enfin qu’il n’y a point d’autres élémens, et qu’il ne peut y en avoir d’autres, il aurait esquissé une métaphysique sans empiéter sur les sciences positives, et touché la source sans être obligé de descendre jusqu’au terme de tous les ruisseaux.

À mon avis, ces deux grandes opérations, l’expérience telle que vous l’avez décrite et l’abstraction telle que j’ai essayé de la définir, font à elles deux toutes les ressources de l’esprit humain. L’une est la direction pratique, l’autre la direction spéculative. La première conduit à considérer la nature comme une rencontre de faits, la seconde comme un système de lois ; employée seule, la première est anglaise ; employée seule, la seconde est allemande. S’il y a une place entre les deux nations, c’est la nôtre. Nous avons élargi les idées anglaises au XVIIIe siècle ; nous pouvons au XIXe siècle préciser les idées allemandes. Notre affaire est de tempérer, de corriger, de compléter les deux esprits l’un par l’autre, de les fondre en un seul, de les exprimer dans un style que tout le monde entende, et d’en faire ainsi l’esprit universel.


ii.

Nous sortîmes ; comme il arrive toujours en pareil cas, chacun des deux avait fait réfléchir l’autre, et aucun des deux n’avait per-