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Dès le matin du 4 janvier, milady Carlisle arriva chez la reine, par qui elle fut bien accueillie, et qui semblait triomphante. Le roi y vint peu après l’arrivée de milady, et, prenant la reine à part dans un cabinet voisin, y conversa quelque temps avec elle à voix trop basse pour qu’on entendît ce qu’ils se disaient. Il semblerait qu’au moment décisif le cœur manquât à ce prince pour entreprendre ce qui avait été résolu dans le conseil de la nuit, car tout à coup la reine, emportée par la passion, changea de ton- : — Allez, poltron ! l’entendit-on s’écrier, en français mêlé d’anglais, à son royal époux,… allez !… Pull these vogues out by the ears[1],… ou ne me revoyez jamais !

Peu après cette boutade furieuse, n’entendant plus de bruit dans le cabinet, milady Carlisle gratta doucement à la porte, et comme on ne lui interdisait pas d’entrer, elle s’y glissa presqu’inaperçue. La reine y était seule, assise, le front dans ses mains. Elle n’adressa d’abord aucune réponse aux questions de la comtesse, qui se mit alors à lui parler de choses indifférentes sans tenir compte de l’espèce de distraction où elle voyait sa majesté. Après un certain temps, — peut-être trois quarts d’heure, m’a dit la comtesse, — sa majesté se leva de son siège, et regardant à l’horloge : — Tenez, lui dit-elle, la joie m’étouffe !… Réjouissez-vous comme moi !… Le roi désormais est roi pour tout de bon. Pym et ses alliés doivent être maintenant sous bonne garde…

C’était, vous l’allez voir, parler un peu trop tôt. Milady Carlisle, affectant la joie qu’on lui commandait, se fit expliquer le dessein formé par le roi, et, saisissant le premier prétexte venu, me vint porter elle-même dans mon logement, où j’attendais par ses ordres, un mot d’avis pour m’apprendre ce qui se passait et me prescrire ce qu’il y avait à faire. Il était déjà aux environs de midi. Les minutes en ce moment valaient des heures, et je partis incontinent, sans ménager mes jambes. Aux approches du palais de Westminster, je vis tant de figures étranges et de groupes armés que mon ambassade me parut très compromise. Il fallait pourtant arriver, coûte que coûte. Je me souvins alors de mes tours de jeunesse, et, au lieu de suivre les rues, je me glissai de maison en maison, de cour en cour ; d’un toit je sautai sur un autre. Un Basque n’eût pu mieux faire, et je méritais de ne pas perdre mes peines. Aussi ne les perdis-je point, et gagnai de vitesse des gens qui avaient barre sur moi.

Ces gens n’étaient autres, madame, que le roi Charles Ier d’Angleterre, suivi de sa garde et de quatre ou cinq cents de ces gentilshommes

  1. Go, pull these rogues out by the ears !… Tirez de là ces drôles par les oreilles !… — C’est le texte même de cette apostrophe historique, tel que le donne M. Forster d’après un manuscrit de sir William Coke, conservé par Archetil Grey (Arrest of the five members, p. 137-138).