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de ces complexes, des élémens simples enfermés dans des ensembles plus composés. Je les en retire et je les isole ; j’isole la rosée prise en général de toutes les rosées locales, temporaires, particulières que je puis observer ; j’isole le froid pris en général de tous les froids spéciaux, variés, distincts, qui peuvent se produire parmi toutes les différences de texture, toutes les diversités de substance, toutes les inégalités de température, toutes les complications de circonstances. Je joins un antécédent abstrait à un conséquent abstrait, et je les joins, comme le montre Mill lui-même, par des retranchemens, des suppressions, des éliminations. J’expulse des deux groupes qui les contiennent toutes les circonstances adjacentes ; je démêle le couple dans l’entourage qui l’offusque ; je détache, par une série de comparaisons et d’expériences, tous les accidens parasites qui se sont collés à lui, et je finis ainsi par le mettre à nu. J’ai l’air de considérer vingt cas différens, et dans le fond je n’en considère qu’un seul ; j’ai l’air de procéder par addition, et en somme je n’opère que par soustraction. Tous les procédés de l’induction sont donc des moyens d’abstraire, et toutes les œuvres de l’induction sont donc des liaisons d’abstraits.

Nous voyons maintenant les deux grands momens de la science et les deux grandes apparences de la nature. Il y a deux opérations, l’expérience et l’abstraction ; il y a deux royaumes, celui des faits complexes et celui des élémens simples. Le premier est l’effet, le second la cause. Le premier est contenu dans le second et s’en déduit, comme une conséquence de son principe. Tous deux s’équivalent ; ils sont une seule chose considérée sous deux aspects. Ce magnifique monde mouvant, ce chaos tumultueux d’événemens entre-croisés, cette vie incessante infiniment variée et multiple, se réduisent à quelques élémens et à leurs rapports. Tout notre effort consiste à passer de l’un à l’autre, du complexe au simple, des faits aux lois, des, expériences aux formules. Et la raison en est visible, car ce fait que j’aperçois par les sens ou la conscience n’est qu’une tranche arbitraire que mes sens ou ma conscience découpent dans la trame infinie et continue de l’être. S’ils étaient construits autrement, ils en intercepteraient une autre ; c’est le hasard de leur structure qui a déterminé celle-là. Ils sont comme un compas ouvert, qui pourrait l’être moins, et qui pourrait l’être davantage. Le cercle qu’ils décrivent n’est pas naturel, mais artificiel. Il l’est si bien qu’il l’est en deux manières, à l’extérieur et à l’intérieur, car, lorsque je constate un événement, je l’isole artificiellement de son entourage naturel, et je le compose artificiellement d’élémens qui ne font point un assemblage naturel. Quand je vois une pierre qui tombe, je sépare la chute des circonstances antérieures qui réellement