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d’Angleterre. « Il tenait, dit-il, à conserver l’amitié de son frère le roi de France ; mais il ne la voulait ni préjudiciable à son honneur, ni achetée au prix des intérêts de son peuple. Si donc les ports des Flandres étaient attaqués par la France et la Hollande confédérées, une flotte anglaise partirait tout aussitôt pour les Dunes, et sur cette flotte une armée de quinze mille hommes. » Charles remerciait le cardinal du secours qu’il lui promettait en cas de rébellion ; « mais, ajoutait-il, je n’ai besoin, pour venir à bout des révoltés, que de mon autorité royale et de l’aide que je trouverais infailliblement, en pareille circonstance, dans les lois de mon pays. » Belles paroles, à coup sûr, si tant de fierté eût été de saison ; mais au moment même où Charles parlait si légèrement d’une guerre avec la France, il armait contre les presbytériens écossais. D’ailleurs, comme il eût dû le prévoir, d’Estrades avait une double mission. S’il échouait auprès du roi, le comte offrirait aux mécontens d’Ecosse cette aide imprudemment refusée. Aucun scrupule de religion ne gênait la redoutable éminence qui guerroyait contre l’Espagne catholique et s’alliait fort bien à Gustave-Adolphe, ce « boulevard de la foi protestante. » D’Estrades n’était pas à Londres depuis plus de cinq jours qu’il avait déjà noué des relations avec deux Écossais propres à servir ce nouveau dessein, et nous le voyons dans ses dépêches féliciter le ministre tout-puissant de « ces conjonctures favorables, qui lui permettront d’embarrasser les affaires du monarque anglais. » La réponse de Richelieu est remarquable : « Il est heureux, dit-il, que le couple royal d’Angleterre ait si nettement fait connaître ses dispositions. Plus d’adresse et de dissimulation eût embarrassé la politique française. Maintenant l’année ne s’achèvera pas sans que Charles Ier et Henriette-Marie n’aient eu à regretter d’avoir rejeté ses propositions[1]… Ils sauront bientôt que je ne suis pas un homme à mépriser, » ajoute ironiquement le sinistre prophète. L’action suit de près les paroles. Un des chapelains de Richelieu, l’abbé Chambres (ou plutôt Chambers), part aussitôt pour Edimbourg avec un des pages- secrétaires du ministre, « le sieur Hepburn. » Tous deux sont Écossais de naissance et ont des relations dans le pays où il s’agit d’ourdir les trames vengeresses. Plus acharné que jamais à poursuivre Marie de Médicis, Richelieu l’imposera bientôt à sa fille humiliée, et Henriette-Marie verra l’impopularité de cette misérable exilée s’ajouter à l’espèce d’aversion qu’inspire au peuple anglais une reine à la fois catholique et française. Au terme fixé par Richelieu, la prédiction menaçante du cardinal était accomplie. Elle est du mois de novembre 1637. Dès le mois de décembre, le covenant

  1. Lettres d’Estrades, t. Ier, p. 10.