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Cette simple clarté vous paraît un peu pâle, et ces figures vous semblent presque froides ; mais peu à peu votre vue se dégage, vous acceptez et bientôt vous aimez cette façon candide de présenter les choses. Vous vous plaisez à pénétrer dans ces physionomies lucides où tout se voit, où tout se lit. Pas le moindre mystère ; ce que le peintre pense, il le dit, il l’étale ; c’est clair, c’est net comme de la bonne prose. Quant au sujet, ne s’explique-t-il pas en quelque sorte de lui-même ? La seule question est de savoir pour quelle solennité patriotique ces hommes sont attablés, car à coup sur ils ne célèbrent pas une simple fête de famille, ce n’est pas un repas ordinaire. Ces riches vêtemens, ces galons, ces drapeaux, ces insignes à la fois militaires et civils, l’air de contentement, l’énergique assurance qui règnent sur ces visages, tout semble nous apprendre qu’un grand événement va s’accomplir pour la Hollande et que les chefs de la garde civique s’en réjouissent en commun. Et en effet il s’agit de la paix de Munster, de ce traité qui met fin à la guerre de trente ans, et qui, après soixante-dix ans d’efforts, fait pour la première fois accepter par l’Europe l’indépendance des Provinces-Unies. C’est le 18 juin 1648 que fut donné ce célèbre banquet, et van der Helst a daté son tableau de cette même année ; il l’a donc fait en quelques mois, véritable prodige quand on pense que ces vingt-cinq figures, de grandeur naturelle, sont autant de portraits étudiés sur nature, que ces portraits pour la plupart sont des merveilles d’exécution, et que tous les accessoires du tableau sont terminés et rendus avec un soin, une délicatesse et des perfections de détail dont les chefs-d’œuvre de chevalet peuvent seuls donner l’idée. On croit peut-être qu’un tel fini sur une telle échelle doit donner lieu à quelque sécheresse, que cette étude individuelle, cette série de personnages imposés à l’artiste et non choisis par lui sont à peu près incompatibles avec un grand effet d’ensemble, et qu’au lieu d’un tableau le peintre n’a pu faire qu’un faisceau de portraits agglomérés dans un seul cadre. Il n’en est rien ; pour moi du moins, l’unité, l’harmonie me semblent satisfaites dans cette radieuse peinture ; j’en aime les détails sans qu’ils absorbent mes regards, et la composition n’en est pas moins habile que la touche et que l’exécution. Ce n’est cependant pas une œuvre sans défauts, mais elle n’a qu’un tort grave et qu’un point vulnérable, c’est d’être ainsi placée en face de Rembrandt. Il faut, pour l’estimer à sa valeur, oublier tout à fait ce redoutable voisinage ; il faut se garder aussi d’un autre souvenir plus lointain, mais non moins dangereux, souvenir que cette longue table en travers du tableau, cette nappe, ce couvert, ces convives, risquent de réveiller en vous. Si vous alliez penser au sublime et divin cénacle de Sainte-Marie-des-Grâces à