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d’onctueux et de tendre. Que ce Samaritain est charitable ! que cet enfant prodigue est repentant ! que ce père lui ouvre bien son cœur ! Que de compassion, que de larmes dans ces gestes, dans ces mouvemens, surtout dans ces jets de lumière ! Dirons-nous pour cela de Rembrandt, comme quelques-uns de ses admirateurs, qu’aucun peintre avant lui n’avait compris le christianisme, qu’il le sent et l’exprime mieux que tous les grands maîtres de la catholique Italie, que seul il a trouvé le Christ véritable, le Christ des humbles misères ? À quoi bon comparer ? Notre enthousiasme est plus modeste. Sans détrôner personne, nous laissons à chacun sa part. Celle de Rembrandt est immense. Pour peu qu’on pénètre au-delà de cette écorce inculte, presque difforme, qui trop souvent nous cache ses pensées, on découvre en lui la puissance et parfois les éclairs d’un Shakspeare. Si dans les sujets religieux il trouble nos habitudes, s’il déconcerte nos souvenirs en s’abaissant au trivial, que de fois il s’élance et nous entraîne au pathétique ! Seulement c’est toujours son grand moyen d’effet, c’est-à-dire la lumière, qui produit chez lui l’expression. Prenez ses descentes de croix, ses résurrections de Lazare, ses Disciples d’Emmaüs, son Abraham averti par l’Ange, et tant d’autres chefs-d’œuvre dont le seul souvenir nous émeut en nous éblouissant ; supprimez-en par la pensée les combinaisons lumineuses, ces clartés presque inexplicables qui, au milieu d’un fond obscur, vont frapper certains visages ou certains points du tableau ; n’en conservez que ce qu’il faut pour éclairer la scène, à peu près comme en plein midi par un jour ordinaire : que vous restera-t-il ? Le plus terne et le moins émouvant des spectacles. Le principal agent de l’émotion est donc ici un certain luxe combiné d’obscurité et de lumière. Voilà pourquoi Rembrandt ne pouvait se passer des sujets religieux, et pourquoi son instinct l’y ramenait sans cesse. Eux seuls lui fournissaient un prétexte plausible à ces illuminations magiques sans lesquelles il perdait une partie de sa puissance. Pour dire tout ce qu’il y avait dans son âme et sur sa palette, il lui fallait d’étincelantes auréoles projetant au loin leurs lueurs, des rayons incompréhensibles, des traits de feu sillonnant les ténèbres, du surnaturel en un mot. Sous cette grotte obscure où l’homme-Dieu, debout au-dessus d’un tombeau, somme la mort de lui rendre son ami, ce qui séduit Rembrandt, ce qui pour lui signifie résurrection, miracle, bonté divine, stupeur des assistans, cris de joie et de reconnaissance, c’est un éclat subit de splendide clarté qui, à la voix et sous le geste du Sauveur, fait comme explosion dans la grotte. Toute sa composition se résume dans cette invasion de lumière. C’est un coup de tam-tam, un de ces effets matériels dont un musicien coloriste ferait certainement usage s’il voulait