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être là son dernier acte d’indépendance, moins périlleux que tous les autres, mais presque aussi laborieux. Ce n’est en effet que vers 1630, un demi-siècle après l’affranchissement de la patrie, qu’apparaissent les premiers tableaux qu’on peut vraiment appeler hollandais, genre de peinture jusque-là sans exemple, et d’une nouveauté aussi originale que l’étrange pays où il prenait naissance.

Qu’avait-il fallu faire pour en arriver là ? D’abord, cela va sans dire, se délivrer du style italo-flamand : c’était la condition première ; mais sur ce point l’exemple était venu de la Flandre elle-même. Dès le commencement du XVIIe siècle, dès la première jeunesse de Rubens, l’école d’Anvers était entrée en pleine réaction. D’une part, ce vigoureux génie, bien qu’épris des maîtres vénitiens jusqu’à leur emprunter certains secrets de leur palette, certains procédés d’ordonnance et de composition, n’en avait pas moins rompu avec l’esprit italien, avec la décadence florentine, avec la fausse antiquité, et laissé libre essor à ses instincts flamands, à son dédain des nobles formes, à son goût des luxuriantes carnations. D’un autre côté, sur un plan plus modeste, des hommes tels que Jean Breughel, Paul Bril, Peter Neefs, sans posséder les aptitudes variées et presque universelles du grand peintre anversois, sans prétendre à autre chose qu’à la patiente imitation de simples paysages ou d’intérieurs d’églises, avaient peut-être contribué plus puissamment encore à dégoûter leur pays du clinquant exotique et à le ramener à ses goûts naturels. Ce qu’il y a de remarquable, c’est que Breughel et Paul Bril avaient d’abord passé de longues années à Rome, qu’ils s’y étaient livrés à cette manière expéditive et lâchée de traiter le paysage qui alors y faisait seule fortune, et que l’un et l’autre, de retour à Anvers, avaient pris aussitôt une touche nouvelle dont la précision, la finesse, la minutieuse exactitude, contrastaient étrangement avec leur éducation romaine. On eût dit qu’en rentrant au foyer paternel, les traditions de van Eyck et d’Hemling, oubliées depuis près d’un siècle, s’étaient pour eux réveillées tout à coup, qu’ils avaient reconnu combien chez ces vieux maîtres les fonds de paysage rendaient fidèlement la verdure un peu crue, mais brillante, des campagnes flamandes, combien cette manière nette et naïve d’interpréter la nature devait plaire à leurs compatriotes et rajeunir leur goût blasé. Ils le comprirent si bien que Jean Breughel et Paul Bril semblent, au premier aspect, sortir directement de l’ancienne école de Bruges : rien dans leur œuvre ne laisse voir la lacune qui les en sépare ; ils s’y sont comme soudés volontairement. Et quant à Peter Neefs, le lien qui l’y rattache semble encore plus étroit ; cette façon un peu sèche, bien que mystérieuse, de comprendre