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comme pour les maîtres primitifs, à l’inexpérience du passé ; il faut seulement avoir des yeux : le but suprême de la peinture imitatrice, la reproduction de la nature, est ici complètement atteint.

Entrons donc dans le Trippenhuis, dans cette maison d’un ancien bourgmestre transformée maintenant en musée, petit édifice à pilastres, sorte d’hôtel à la française, dont l’architecture un peu molle ne manque pas d’élégance, et qui, construite en pierre et s’élevant carrément parmi tous ces pignons de brique aigus et chantournés qui tapissent le Kloveniers-Burgwal, semble à distance un monument public de certaine importance. Bientôt, en y entrant, l’illusion se dissipe. Comme dans toutes les maisons hollandaises, un simple corridor tient lieu de vestibule ; nulle part le jour ne vient d’en haut, et les salles sont toutes de proportions bourgeoises. Il en est une cependant plus grande que les autres, la première, à droite, en entrant. À chaque extrémité, un seul tableau couvre toute la muraille : c’est ici que nous nous arrêtons.

Deux hommes sont en présence dans cette salle, deux hommes de renommée bien inégale, van der Helst et Rembrandt. L’un a rempli l’Europe de son nom et de ses œuvres ; l’autre, hors de son pays, est à peine connu autrement que par des portraits : un seul tableau de van der Helst se voit au Louvre, et si parfait qu’il soit, jamais sur cette miniature on n’attendrait du maître l’œuvre qui est là devant nous. Ainsi deux sortes d’étonnemens pour qui pénètre dans cette salle : d’abord des tableaux hollandais de quinze à vingt pieds de long, et des scènes de grandeur naturelle : puis la lutte de ces deux hommes, ces deux manières absolument contraires de tenter la même entreprise et d’interpréter le même art. Talent, méthode, moyens d’effet, tout diffère dans ces deux toiles ; mais avant d’étudier ce contraste, qui explique et résume toute l’école hollandaise sous ses deux principaux aspects, ne faut-il pas d’abord avoir dit quelques mots de cette école elle-même, ou du moins de sa naissance et de ses premiers pas ?

À l’époque où Jean van Eyck s’établissait à Bruges et en faisait comme la capitale de l’art flamand, au XVe siècle, la Hollande n’existait pas ; même encore au XVIe les provinces dont elle s’est formée, confondues dans les possessions du duché de Bourgogne, n’avaient pas de vie propre. Il est donc à peu près certain que, sans la réforme et sans les luttes qu’elle engendra, sans le mouvement national qui de 1560 à 1580 arracha la Néerlande à la domination espagnole, nous n’aurions jamais eu de peinture hollandaise. Les semences pittoresques qui couvaient dans ce sol, ou n’auraient pas germé, ou ne seraient sorties de terre qu’au profit de la peinture flamande, sans rien produire d’original. Pour constituer une école de peinture il