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pas le pardon de sa faute, « Que vas-tu faire ? lui demande Wolfram. — Je retourne au Venusberg, répond Tannhäuser. — Insensé, réplique Wolfram, tu es perdu à jamais ! » Une lutte s’engage alors entre Wolfram, qui représente le bon principe, et Vénus, qui apparaît, comme un rêve au fond du théâtre, à son cher Tannhäuser, qu’elle tire tant qu’elle peut de son côté. Enfin le christianisme l’emporte sur la volupté païenne, et Tannhäuser, en voyant le corps inanimé de la pauvre Élisabeth, expire près d’elle en s’écriant : Sainte Élisabeth, prie pour moi !

Par cette analyse, que nous avons rendue aussi claire que possible, on peut se convaincre que la légende du Tannhäuser, telle que M. Wagner l’a traitée, ne contient pas l’étoffe d’un drame lyrique. Aucun caractère n’y est dessiné, aucune passion n’y est fortement accusée, et les personnages qu’on y voit apparaître semblent moins des êtres humains, soumis comme nous aux vicissitudes de la vie, que des symboles métaphysiques plus dignes de figurer dans un dialogue de Platon que dans une action dramatique. La langue poétique de M. Wagner est d’une obscurité, d’une densité, si je puis m’exprimer ainsi, qui serait propre à transmettre la pensée équivoque d’un oracle ; mais pour exprimer les sentimens finis, les passions déterminées du cœur humain que la musique doit revêtir de ses magiques couleurs, il faut à la fois une langue claire et flottante qui dessine l’objet, sans trop l’étreindre. Les étoiles, le ciel bleu, les harpes célestes, les espaces immenses des cieux, les phalanges divines, tout le galimatias de la poésie lyrique d’un ordre très inférieur, dont l’imagination de M. Wagner est empêtrée, ne peut faire illusion à un public français qui veut tout comprendre, même ce qu’on lui chante. En un mot, le Tannhäuser est un conte bleu mal disposé pour la scène, sans action, sans caractères et sans intérêt, un thème banal et enfantin, une de ces questions précieuses de métaphysique sentimentale qu’on traitait volontiers dans les cours d’amour du moyen âge, dans les académies de la renaissance ou à l’hôtel de Rambouillet.

M. Wagner est bien un artiste de son pays et de son temps qui a les qualités et les défauts d’une époque de décadence : c’est un quasi-poète enté sur un critique, un musicien issu d’une théorie qu’il a fabriquée lui-même, pour venir en aide à sa propre cause. Tout est factice en lui, tout est voulu, prémédité dans son œuvre, où manquent les premières qualités du génie, qui sont la spontanéité de l’imagination et la sincérité du sentiment. On dirait un sophiste cherchant à abuser le public sur la nature des choses et s’efforçant de trouver des raisons spécieuses pour masquer ses propres infirmités. M. Wagner, qui a plus d’ambition dans la volonté que de souplesse dans le talent, plus de théorie dans l’esprit que de véritable émotion dans le cœur, M. Wagner vise au compliqué, au grandiose, quelquefois et plus souvent au monstrueux, et il semble méconnaître tout ce qu’il y a de sublime et de divin dans la simplicité. Dans une lettre qui sert de préface à la traduction de quatre poèmes d’opéra publiée à Paris il y a peu de mois, l’auteur du Tannhäuser jette un coup d’œil rapide sur l’histoire de la musique. Dans cette lettre curieuse dont un musicien allemand d’un talent solide et reconnu, M. Ferdinand Hiller, a déjà réfuté les fausses doctrines avec une verve piquante dans deux articles de la Gazette de Cologne,