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ques paroles pour remercier la foule venue au-devant de lui. Il a fait ses adieux à la vie politique et a demandé pardon à ceux qu’il aurait pu, dans sa longue carrière, avoir offensés par ses actes ou par son langage ; il a annoncé qu’il allait consacrer ses derniers jours à distribuer ses bienfaits aux veuves et aux orphelins, et a terminé sa harangue en priant le ciel de maintenir l’union américaine. C’était bien de prières qu’il s’agissait pour M. Buchanan, s’il avait énergiquement et sincèrement voulu la conservation de l’union ! Les derniers actes de son administration ont, on peut le craindre, rendu irrévocable la dissolution de la confédération. M. Buchanan n’a employé aucun des moyens nécessaires pour conserver les forteresses fédérales dans les états séparatistes. Il n’a pris aucune mesure défensive contre la séparation. Les forces maritimes des États-Unis ont été dispersées par lui dans des stations éloignées ; les forces militaires qu’il a laissées à son successeur sont d’une insuffisance ridicule ; il n’a pas même ravitaillé le fort Sumter, dont M. Lincoln est obligé d’ordonner l’évacuation parce qu’aucun navire ne pourrait l’approcher sans s’exposer au feu des batteries que les Caroliniens ont pu élever à leur aise. Il n’est donc point surprenant que les débuts de la présidence républicaine soient faibles, hésitans, comme l’ont été les derniers momens de l’administration de M. Buchanan. Celui-ci n’a légué à M. Lincoln qu’un pouvoir sans puissance. Tandis que le gouvernement de Washington est ainsi frappé de paralysie, le sud déploie au contraire, sous la conduite de son président, M. Jefferson Davis, une grande activité, et fait des préparatifs vigoureux de défense. Ces ardens Américains du sud affectent de ne point craindre que la guerre servile fasse diversion à la guerre civile et la complique à leur détriment. Ils se proposent de recruter des soldats parmi leurs esclaves. Pendant que les hommes du sud ne respirent que guerre, les états intermédiaires, qui ont à leur tête la Virginie, interdisent aux états du nord l’emploi de moyens coercitifs contre la confédération séparatiste en les menaçant, s’ils ne sont point écoutés par eux, de se joindre au sud. Cette tactique par laquelle on s’efforce d’intimider le nord a pour organe dans le sénat M. Douglas. Ce sénateur s’est hâté de commenter le manifeste de M. Lincoln dans un sens pacifique, comme pour lier le président à la paix. Si ces efforts réussissent à maintenir l’union et préviennent l’effusion du sang américain, il faudra les louer ; mais qui peut dire, s’ils facilitent au contraire la séparation, qu’ils auront conjuré toute chance de guerre entre deux républiques divisées par des intérêts contraires et des passions si violentes ? E. FORCADE.